Les Oiseaux rares

Les Oiseaux rares

Une grande plage du Nord, ancienne station balnéaire très prisée, tombée en désuétude, convertie en décharge et maintenant abandonnée. Au centre du tableau, un singulier personnage construit un radeau, s’affaire autour d’un puzzle retrouvé dans les décombres ; dans sa périphérie, une rôdeuse énigmatique… Deux oiseaux rares, en effet.

Genre Littéraire :
Roman
Éditeur :
Les Éditions du Net
https://www.leseditionsdunet.com

Parution : 2019
ISBN : 978-2-312-06655-4
Format : 15 x 23 cm
Nombre de pages : 206

Version papier : 18 €

Extrait

Sophie soupira. Non, décidément elle ne comprenait rien à ce que lui disait Elme.

         « Alors, demanda-t-elle dans un dernier effort, d’après toi, ce qu’on voit, ce sont des ordures ou des vestiges ?

         — Il faut distinguer les ordures sèches de la pourriture, répondit-il calmement. Ce que tu vois, n’est que l’écroulement d’une fausse gloire et d’un rêve. La fin d’une illusion, sa vraie nature, son devenir. »

         Il se leva.

         « Sur cette plage, poursuivit-il le bras tendu, l’index pointé effectuant un large cercle, on n’apporte plus d’ordures fraîches depuis longtemps et c’est pourquoi je l’ai choisie. Elle me plaît. Elle est à mon image. Mon esprit n’est plus à présent encombré que de vestiges anciens ; il a cessé de charrier les ordures journalières. Quand tout cela aura disparu, alors, je naviguerai sur l’océan. Seul et libre. »

         Il se tourna vers Sophie et d’un geste lent, théâtral, pointa son index sur son propre crâne où voletaient ses mèches blondes.

         « L’océan est là, dit-il. »

Le Fort des Dames

Le Fort des Dames

« Moi, Enguerrand de Fontevert, passé abbé de l’abbaye de même nom, dépose ici, qu’en quatre années de retraite au lieudit le Fort des Dames, jamais je n’ai vu et connu temps de paix et de prospérité égal à celui-ci…

Que la dame Agdelaine, solennellement et devant moi, renonce à recourir à l’ordalie, ainsi que par le passé la tentation lui est venue plusieurs fois. Que le sire Benacth, homme chaste et pieux, n’exerce aucun cuissage alentour, ni par droit, ni par coutume ainsi qu’on le prétend par malice. Qu’enfin nulle femme Araine ne se jette plus au lieudit Val des Folles pour terminer ses jours, ce qui ferait offense à notre créateur, chose dont à ce jour j’ai pu faire le constat. Que si la dame Hersente s’y était jetée jadis, que c’était par errance d’esprit et maladie, suite au siège long et navrant du sire de Senterre ; que si la dame Gallendis a fait de même, que c’était en raison qu’après l’assaut du lieudit Fort des Dames, elle était grosse d’Urien et de sa troupe de brigands, et que le sire Morgan de Machepierre – Dieu ait son âme – en faisait sa putain… »

Un roman féodal dans la pure tradition historique, qui fait singulièrement écho aux pulsions secrètes de l’âme, aux « aventures » du moi intérieur, toujours écartelé entre idéal, passion et rapine.

Genre Littéraire :
Roman historique
Éditeur :
Les Éditions du Net
https://www.leseditionsdunet.com

Parution : 2018
ISBN : 978-2-312-05931-0
Format : 15 x 23 cm
Nombre de pages : 286

Version papier : 20 €

Extrait (premières pages)

La pluie, qui depuis le matin n’a pas cessé, ruisselle des feuillages et fait de la futaie un vrai marais. Benacth marche d’un pas régulier, pesant, aussi fourbu que le cheval qu’il tient par la bride ; l’humidité a plaqué son vêtement sur sa peau, l’imbibe lentement, elle finira par l’absorber dans une somnolence fangeuse s’il n’aperçoit bientôt une clairière, un promontoire, un endroit habité.
Le ciel, Benacth ne l’a pas vu depuis trois jours, car depuis trois jours il traverse un océan végétal où l’eau descend par averses, s’élève par brumes, stagne et détrempe le sol, pourrit les troncs, noie les herbes, suinte, enclose de toute part. Trois jours entre le jour diffus et la nuit noire. Benacth ne fait plus l’effort d’éviter les flaques et les bourbiers ; sa conscience s’enlise, se dilue, et s’absente souvent.
Il s’arrête et, avec lui, le cheval s’arrête.
— C’est le bout du monde, murmure-t-il.
Il arrache ses deux pieds à la boue qui gargouille, prête à l’avaler comme une bouche suceuse, et cherche un endroit sec.
— Gauthier ! crie-t-il.
Une silhouette se profile à cent pas derrière lui. Benacth attend, avec une expression figée de lassitude. Quand l’écuyer s’approche, il lui lance :
— Tu nous as encore fourvoyés. Nous ne sortirons pas de là et le soir va tomber. Je te le dis, Gauthier : je ne passerai pas une troisième nuit à croupir dans ce marais à grenouilles. Nous allons galoper.
— Mon cheval boite. Et je n’y suis pour rien ; je voulais prendre plus à l’ouest. Pardonnez-moi, messire, mais vous avez une tête de bois. Si vous m’aviez écouté…
— A l’ouest ! s’exclame Benacth. Tais-toi, Gauthier. Je t’en prie. Où vois-tu le soleil ? Dans les flaques ? Dis-moi, quand l’as-tu vu, la dernière fois ?
Gauthier ne répond pas, hausse les épaules et rejette sa cagoule détrempée. Ses yeux scrutent les lointains, en quête d’une issue, mais déjà l’ombre descend sur la forêt.
Et soudain, il s’écrie :
— Là-bas, messire ! Quelqu’un !
Benacth se retourne, aperçoit l’homme que désigne Gauthier, un chasseur de courlis ou d’ergondins sans doute, et sans attendre enfourche sa monture. Le cheval patauge puis se lance au galop dans les flaques. Au bruit de l’eau qui gicle, l’homme s’enfuit mais Benacth le rejoint sans peine, se jette sur lui et le terrasse.
— Vilain, dit-il, je ne te veux aucun mal. Dis-moi où est le bout de la forêt !
L’autre, plaqué dans les herbes, le visage hirsute et l’air terrorisé, ânonne. Benacth ne comprend rien à ses balbutiements et appelle Gauthier qui accourt.
— Demande-lui de nous sortir de là ! Ou de nous héberger, que sais-je ?
Un curieux dialogue s’engage entre le gueux que Benacth libère de sa poigne et l’écuyer essoufflé. Hochements de têtes. Sourires enfin qui semblent conclure un accord.
— Que dit-il ?
— Il dit qu’il peut nous offrir le boire et le manger ainsi que la couche pour cette nuit. Il suggère qu’un denier pour tout cela ne serait pas de trop.
— Le drôle ! Les bonnes manières se perdent. Mais soit.

La Créature Andromaque

La Créature Andromaque

A la charnière des deux siècles passés, en cette « belle époque » des expositions coloniales, voici l’histoire d’une découverte à la fois marquante pour les disciplines de la zoologie, de l’anthropologie, de la génétique, mais qui demeura anodine en cette année 1898, suite un imbroglio d’intérêts publics ou privés. Trois regards, distants chacun de quelques cinq décennies, passent au crible de leur science respective, les interrogations légitimes de tout chercheur intrigué par l’irruption de « l’imprévisible », pour induire en fin de compte l’idée singulière, polymorphe, que toute anomalie de la nature – en l’occurrence humaine – nous délivre un message précieux.

Voyage dans les temps immémoriaux ou actuels – quelquefois amniotiques – ou les espaces lointains, les plus diversifiés, ce récit nous convoque davantage à une quête qu’à un constat ; avec, certainement, la preuve que la vie nous précède dans ses choix.

Genre Littéraire :
Fiction historique
Éditeur :
Les Éditions du Net
https://www.leseditionsdunet.com

Parution : 2017
ISBN : 978-2-312-05241-0
Format : 15 x 23 cm
Nombre de pages : 188

Version papier : 15 €

Extrait (premières pages)

Avant-propos

La relation de la découverte de Martin G. Lartimer pose quelques difficultés dont le lecteur doit être ici informé. Multiplicité des sources, d’abord. Martin G. L. écrivit, en cette année 1898, un Journal de bord, partiellement publié par J.H. Blosse, reporter essayiste, en 1951 ; chargé de ratures, de repentirs (pour employer un terme de l’art), d’annotations parfois contradictoires, il ne pouvait être lu – semble-t-il – dans sa continuité par un lecteur non averti. Il n’est toujours pas à ce jour accessible au public. A ce journal de bord, succédait un Cahier scientifique, rédigé sans changement notoire de mode d’écriture dans cette même année 1898, entre juin et septembre, assez régulier, recueillant jour après jour observations et réflexions. Enfin, un Journal intime, essentiellement centré sur le mois de septembre, plus libre et évasif dans ses considérations quoique toujours émaillé de faits significatifs, achève la relation sans la conclure et la laisse en suspens. A ce corpus, il faut ajouter un ensemble de pièces hétéroclites, à savoir di-vers documents provenant des archives paternelles, un dossier dûment classé par Martin contenant courriers et articles de presse rédigés après 1898, quelques articles manuscrits, copies d’archives de presse toutes antérieures à l’année 1898.

L’œuvre de J.H. Blosse a été de rassembler ces documents épars comme les pièces d’un puzzle. Martin avait fait le travail de recherche préalable et fourni la matière principale ; il n’était plus que de donner à l’ensemble sa cohérence et sa lisibilité. Si le travail de Blosse est louable à plus d’un titre, on lui reprochera néanmoins d’avoir outrepassé ses prétentions de reporter pour s’octroyer souvent celles de détective, voire de romancier. C’est la deuxième difficulté.

Qu’on nous excuse ici d’en ajouter une troisième. Martin écrit à la charnière des deux siècles passés. Blosse reprend l’affaire cinquante ans plus tard, à une époque où la science s’est enrichie de nouvelles données. Pour clore le tout, nous revenons quelques soixante années après Blosse, avec de nouvelles perspectives. Nous convenons que tout cela est compliqué. Qu’on l’admette d’entrée de jeu, la partition n’est pas ordinaire ; c’est comme d’entendre une fugue à trois parties, avec entre chaque partie un décalage de quelques décennies.

Dernière difficulté enfin : l’essentiel de cette découverte relève de l’ordre visuel, domaine qu’un ouvrage écrit peinera toujours à retranscrire. Aussi, sollicitons-nous l’imagination du lecteur attentif en toutes ses facultés mémorisantes et associatives, afin qu’il recompose en lui, en son for intérieur et en nul autre, l’image exacte et unique de ce que fut peut-être celle qu’on appela « la créature Andromaque ». 

Ultime remarque : l’ouvrage de J.H. Blosse n’eut aucun retentissement dans l’année 1951, date à laquelle il parut. Non que sa matière fût médiocre ; le hasard voulut qu’au cours de l’impression, l’éditeur assailli de créances eût affaire aux huissiers ; ses biens furent saisis, les exemplaires fraîchement imprimés, soldés à bas prix, les invendus passés au pilon. Dans un article postérieur, Blosse raconte que rendant visite à son ami imprimeur après la débâcle, il fut surpris de marcher sur les pages de son propre manuscrit, les créanciers ayant tout saccagé dans les lieux, vidé les étagères et emporté les rayonnages.  

Assurément, cette œuvre valait mieux. Nous la livrons aujourd’hui au public sous forme résumée, accompagnée d’un travail critique. Plût à Dieu, ou à l’esprit de Sa créature s’il lui advient de convoiter encore les limites humaines, de regarder notre entreprise d’un œil sauvage mais indulgent.

Le Figuier des Ruines

Le Figuier des Ruines

L’éducation d’un jeune prince oriental, en un moyen-âge lointain, puis la cérémonie de ses noces multiples avec les douze régions de son modeste empire, prélude à de nombreuses dissensions entre clans, à une corruption rampante des officiers de la cité princière, aboutissant à une désastreuse invasion de hordes barbares. Solidement conseillé et secondé par son épouse principale et deux guerriers de talent, le jeune monarque parviendra à redresser son royaume, à reconstruire son gynécée sur des bases saines, à regagner la confiance de son peuple, comme on débarrasse une ville-temple de l’envahissement pernicieux des figuiers des ruines.

Genre Littéraire :
Fiction historique
Éditeur :
Les Éditions du Net
https://www.leseditionsdunet.com

Parution : 2016
ISBN : 978-2-312-04313-5
Format : 15 x 23 cm
Nombre de pages : 280

Version papier : 19 €
Version PDF: 13 €

Extrait (premières pages)

      Quand je levais mes paupières bleuies aux cils scintillants d’or, mon regard embrassait un espace immobile, façonné par le génie d’un peuple et arrêté depuis un siècle pour que s’y établisse une pensée. Comme des orfèvres ciselant une châsse destinée à enclore une perle, les artisans de la première dynastie Thaor avaient œuvré avec un raffinement inégalé. Cet effort en retour exigeait que soit taillé un joyau de grand prix. On me disait le joaillier de cette pierre, le dernier d’une lignée dont l’origine se perdait comme le sommet des montagnes dans la région du Chant d’Ise. J’étais jeune ; je n’avais vu que seize hivers quand certains de mes ancêtres en avaient connu quatre-vingts, mais la jeunesse avait concentré en moi ce qu’ailleurs elle disperse et mon attente prêtait à la vie la saveur d’un fruit qu’on regarde mûrir. J’étais seul. Il me fallait aimer ma solitude. Depuis huit saisons, je délaissais les jeux et les passe-temps futiles comme ceux de faire la chasse aux mouches vertes ou d’épier les servants. Je ne m’ennuyais pas car j’apprenais à mépriser l’ennui, je retenais mon impatience comme un garçon d’attelage retient sous le joug son buffle ; je me sentais puissant sous la contrainte, en m’efforçant de voir que ces lignes, ces masses construites qui dirigeaient ou arrêtaient mes regards, ces agencements de terre cuite, de bois précieux, de pierre, d’étoffes et de tapis choisis et rapportés des douze Régions, s’assemblaient sous mes yeux afin que ma pensée en fit un trône et non une litière. Je me laissais guider par les plans d’ombre et de lumière que découpait la salle aux cent Piliers ; je marchais dans les cours célestes avec l’ivresse de franchir le vide ; j’aimais passer une heure dans les jardins du gynécée à m’attarder sur les caprices de l’existence végétale. Observé à partir des galeries, l’alignement parfait des tours d’angle des quatre enceintes mettait en ordre mes idées fantasques ; leurs triples toits de tuiles vernissées me rappelaient par leurs formes de cloches empilées que les réalités s’étagent dans la vie autour d’un axe immuable et accessible aux sages seulement. Mon œil vagabondait sans tristesse ni passion des terrasses de marbre aux escaliers sculptés, autour des pavillons dont les clartés brutales du soleil soulignaient le dessin ou dans les ombres douces et bleues des vestibules à l’heure du soir, là où veillaient depuis des âges les grands génies de pierre et les gardiens législateurs de la Cité des Princes. Les reliefs des murs étaient toute ma mémoire et j’y puisais la substance des rêves ; par ces images, j’étais lié à mes aïeux autant que par le sang ; je me sentais l’héritier de leurs combats mythiques, le défenseur de leurs richesses. Dans les noces du ciel invariable et de la terre ciselée, j’étais l’esprit et l’embryon de la pensée…

La Face obscure de l’Aurore

La Face obscure de l’Aurore

En l’an 1498, dans la campagne flamande (ou picarde?), Yvelenn, née Deschemins, s’apprête à être mariée à Johan, bâtard probable du Seigneur de Couceyre, sur les terres même du baron Fulbert, son fils. Imbroglio d’intérêts, de manigances, de petites combines paysannes, pour gagner ici ou là, un bœuf, un attelage, ou une terre à pâturer. L’affaire tourne mal ; le baron et ses frères se montrent indélicats et Johan se pend. Alors s’égare le destin d’Yvelenn, hors des sentiers battus…

Actes de sorcellerie, douces orgies nocturnes et féminines s’égrènent au long de ce récit pour soulager la nuit des injures du jour ; c’est la face sombre de l’aurore auquel rien n’est promis ; puis l’engrenage des tribunaux civils, la question et la descente vers l’in-pace, jusqu’à la résurgence inespérée de la vie, dans l’atelier d’un peintre flamand connu, très connu…

Genre Littéraire :
Roman historique et social
Éditeur :
Les Éditions du Net
https://www.leseditionsdunet.com

Parution : 2014
ISBN : 978-2-312-03178-1
Format : 15 x 23 cm
Nombre de pages : 238

Version papier : 18 €
Version PDF: 12,60 €

Extrait (premières pages)

 Johan s’apprête à rencontrer le père Vendrin. Au besoin, il pourra mentir ou raconter des histoires. D’abord, il lui est venu à l’esprit de gagner à sa cause le chapelain ; mais il songe que le curé, c’est mieux. Lui seul peut parler au baron de Couceyre et modifier la date du mariage. Johan a la gorge nouée ; c’est un anxieux, fréquemment sujet aux maux d’estomac. Il était, il y a peu, le garçon le plus fier et le plus heureux du village. Et maintenant l’objet de sa fierté lui barre la route comme un obstacle.

Johan attend devant le portail que le père Vendrin ait achevé l’encensement des autels. Toute la nuit, il a tenté de construire une argumentation de fortune ; ce matin, fatigué, il ne se sent plus la force de convaincre. Ses aigreurs d’estomac continuent. Un gros bouton bourgeonne sur sa joue, un autre à son menton. Il a mal à la tête.

Voilà le curé qui arrive et ferme derrière lui la lourde porte de l’église. C’est un homme courtaud, d’âge mûr, l’air sévère et qui a bien dormi ; un homme avec une pensée qui ne semble jamais s’élever au-delà des sourcils. Johan a peur de lui parler. Le père Vendrin l’entraîne sur le chemin qui va jusqu’à la Sablière.

— Je n’ai pas beaucoup de temps à te consacrer. Je suis attendu pour un office.

— Mon père, c’est à cause du mariage.

— Je t’écoute.

— Yvelenn et moi, nous en avons parlé ensemble. Elle n’est pas bien en ce moment. Si vous pouviez le reporter à la semaine suivante…

—C’est impossible. Tout est fixé à présent. Et la semaine suivante, le baron et ses frères chassent la renarde aux Andalys. Comme tous les ans.

— La semaine suivante, ce serait pourtant bien.

— Au château, on le prendrait très mal. N’insiste pas, c’est non.

— Alors, reportons le mariage au mois prochain.

— Et tes parents ? Et la famille d’Yvelenn ? D’ailleurs, le baron s’y opposera. Tu sais comme il a hâte de vous voir mariés. Et il est généreux.

— Il me déteste.

— C’est toi qui ne l’aimes pas. A l’occasion de ton mariage, il a remis à tes parents une part du cens, ne l’oublie pas. Ils en ont besoin pour t’établir et tu sauras en profiter. Pense donc un peu aux autres.

— Je sais tout ce qu’on dit de lui.

— Ce sont des racontars. Tu es allé voir la Goodwin ? C’est elle qui t’a mis toutes ces idées en tête.

— La Goodwin dit que la lune sera rousse et mauvaise pour les femmes.

— C’est une sorcière. Un jour, on la brûlera. Yvelenn l’a vue aussi ?

— Sa mère l’en empêche. Et puis Yvelenn ne prend pas tout cela au sérieux. Elle me croit jaloux et trop méfiant. Mais moi, je sais.

— Alors tu m’as menti ?

— Mais non, nous en avons parlé.

— Eh bien, n’en parlons plus ; c’est terminé.

Le père Vendrin marche plus vite pour distancer Johan. Au détour du chemin, il se retourne et lance :

      — Dieu sait ce qu’il fait !

Jean Vendrin, curé de la paroisse du Coumay, ne doute pas qu’Yvelenn est vierge et qu’elle aime un peu Johan. Mais il pressent aussi que cette fille aura le diable au ventre d’ici peu. Ce qui lui fait dire cela, c’est sa beauté qui n’est pas naturelle ; sa mère a beau le taire, on sait de qui elle tient. Johan devra la surveiller. Certes, il est de belles filles qui restent chastes et peu soucieuses de leur corps, pensant avec raison que la beauté est l’ornement du démon. Yvelenn, tout au contraire, est en éveil devant ses propres charmes ; il n’est pas un homme au village qui ne l’arrête au passage et ne lui fasse un brin de cour, les jeunes comme les vieux. Il faut dire que c’est une jolie friandise. Un jour, le père Vendrin l’a aperçue qui se baignait toute nue à l’étang. Elle se croyait seule, à l’abri des regards ; il a pu la contempler à loisir et soudain il lui est venu à l’esprit qu’elle souhaitait sans doute qu’on la surprenne ainsi. Il sait que le baron a l’œil sur elle et la convoite, faisant valoir d’anciennes créances pour s’attirer la complicité des parents. L’invitation des époux à la table des seigneurs de Couceyre est une drôle de coutume. De même l’épreuve qui est réclamée à l’issue du repas. Le père Vendrin devant ces choses ferme les yeux, car l’essentiel d’abord est qu’Yvelenn soit mariée et qu’au plus tôt elle soit grosse. Une fois grosse, elle sera attachée, comme une vache à son piquet. Dieu a bien fait les choses, finalement ; car n’ayant pu contraindre tout à fait la femme à la fidélité, il l’a punie en faisant de son corps une entrave. Jean Vendrin se souvient de sa sœur, sa servante à Naort. Elle aimait ça aussi ; et à cause d’elle, il a fauté. Oh, pas longtemps : trois mois, guère plus. Personne heureusement n’en a jamais rien su, sauf Dieu, bien entendu.

Virginia Blake

Virginia Blake

« L’amnésie suspecte d’une jeune artiste dans les milieux de l’art contemporain. Sa renaissance et sa rechute, avec en arrière-plan une trajectoire amoureuse, tenace et singulière. »

Dans un univers moderne mais curieusement « décalé » et qui prend des allures d’hypothèse, Virginia Blake – artiste très en vue, victime d’un accident – devient totalement amnésique ; recueillie par son compagnon supposé, un directeur très influent de galeries, elle part opiniâtrement sur les traces de ses relations anciennes pour redécouvrir enfin – auprès de Ludwig, journaliste contestataire – l’épisode passionnel qui l’a profondément modifiée.

Usant de l’amnésie comme argument majeur pour un regard neuf et vierge, le roman suit les errances de l’âme féminine dans sa découverte du monde, lequel apparaît peu à peu comme une grossière machinerie aux rouages bien huilés. Un monde sans âme et lui-même amnésique.

Genre Littéraire :
Fiction contemporaine
Éditeur :
Éditions Publibook, Paris
https://www.publibook.com

Parution : 2013
ISBN : 9782342015263
Format : 14 x 20 cm
Nombre de pages : 220

Version papier : 21 €
Version PDF : 10,50 €

Extrait

Il faut que je réapprenne le sens des mots et des situations. Si mon nom est véritablement Virginia Blake, il se peut que je ne l’aie jamais si bien porté qu’en cet instant où tout est neuf pour moi, où toute chose s’imprime en mon esprit avec une netteté saisissante parce qu’elle est dépouillée de signification. Je suis comme une feuille noire et vierge sur laquelle la moindre trace prend un relief inattendu.

     Tout à l’heure, il m’a dit :

            — C’est ici.

     Les portières ont claqué et résonné longtemps dans cet espace sombre que je devinais immense quoique très bas de plafond, où se mêlaient des odeurs de gaz brûlés et de béton refroidi. Je l’ai suivi. Nous avons pris un ascenseur. Durant la montée, j’étais à l’écoute de chaque bruit pour me distraire d’une gêne qui m’était insoutenable. Il me regardait sans parler ; je baissais les yeux, fixant dans le miroir les boutons de mon imperméable pour éviter que mon regard ne rencontre le sien.

Sur le palier, il a glissé une carte et tapé un code ; poussant la porte, il m’a dit :

            — C’est ici.

     Nous nous sommes mis à l’aise. Tandis qu’il accrochait nos vêtements sur des cintres, au lieu d’explorer l’endroit je l’ai regardé faire. J’ai eu cette impression curieuse que c’était lui, maintenant, qui fuyait mes regards et qu’une chose non dite s’interposait entre nous, comme une suspicion mutuelle. Refermant le placard, après avoir enfilé des savates, il m’a dit :

— Voilà. C’est chez moi. Enfin… chez nous.

     Puis il m’a contemplée longuement. Je n’ai su que répondre, n’affichant qu’un sourire emprunté. Il a ajouté :

— Chez toi, Ginie…

            Ces derniers mots m’ont fait tressaillir. Sans doute s’en est-il aperçu, pour m’avoir adressé aussitôt une tape amicale sur l’épaule en reprenant sur le ton le plus ordinaire possible :

— Je vais me rafraîchir. J’en ai pour un quart d’heure. En attendant, fais donc le tour de l’appartement. Visite. Regarde un peu partout.

Disparaissant dans la salle de bains, il m’a lancé encore :

            — Tu es chez toi, Ginie… Fais comme chez toi !

 

     L’appartement est vaste et luxueux. Arrangé avec goût, me semble-t-il, encore que je n’ai pas une présence d’esprit suffisante pour en apprécier la décoration, ni pour pénétrer le sens et la fonction de multiples objets, affiches ou toiles exposés sur les murs, sur les tables de verre, sur la moquette même. J’effectue une rapide visite des lieux, laquelle – à vrai dire – ne me passionne pas. Un long couloir me mène jusqu’à un atelier qui débouche lui-même sur une sorte de gymnase. Je reviens au salon et, pour patienter, je refais l’inventaire de mon sac : quelques carnets de notes et de rendez-vous que je connais par cœur maintenant ; des objets usuels. Rien qui me rappelle quoi que ce soit de décisif.

     En tenue légère, il apparaît à la porte du salon :

     — Tu as faim ?

     Je fais signe que j’ai un peu faim.

     Nous mangeons. Ce n’est pas très bon, mais un rien suffit à me rassasier comme à me dégoûter. Durant notre face à face à la table de la cuisine, l’insurmontable gêne de l’ascenseur me reprend. Il me demande :

— Tu as pris tes cachets ?

     — Oui, dis-je.

     Je le sens à l’affût d’un prétexte pour parler et renouer avec moi des liens dont j’ignore tout.

            — Alors, cet endroit ne te rappelle rien ?

            — Excusez-moi, dis-je. Non. Vraiment rien.

            — Ginie, reprend-il tout en mangeant, il faut me tutoyer. Et m’appeler Gérald. Tu le sais bien…

     — Oui, je sais… Mais, comment expliquer ?.. Mettez-vous à ma place. Je n’ai pas l’impression de vous connaître. Enfin, je veux dire… que j’ai l’impression de ne pas vous connaître.

     Je parle. Je parle, mais l’étrangeté des mots, des phrases que je prononce par une sorte de seconde nature, cette seule étrangeté résonne en moi. Des mots, des phrases, de leur sens, je ne distingue plus l’origine ou la fin.

            — Bien sûr, bien sûr, je comprends. Mais tu n’as qu’à faire comme si tu me connaissais. Tu verras. Ça reviendra vite entre nous.

     Il sourit et ajoute :

            — Mets-toi aussi à ma place ! Tu crois que c’est drôle pour moi ?

            Je n’ai pas envie de m’exercer à ce jeu. Pas même de le questionner sur le passé. En réalité, la situation que je vis présentement m’est à ce point dépourvue d’intérêt que je ne peux y prendre part. Il me semble que je rêve où que, par erreur, je viens de débarquer en pays étranger ; que je suis en attente, à un poste frontière.

            Après le repas, nous quittons la cuisine pour rejoindre le salon, puis la chambre. Assis sur le lit, côte à côte, nous feuilletons des revues. Gérald me montre des photos, commente une récente exposition, me parle de choses qui me sont inconnues mais qui devraient – à ce qu’il prétend – m’être familières. Je ne l’écoute pas. Le lit sur lequel nous sommes installés, en vérité, m’obsède l’esprit ; et je me demande avec angoisse s’il me faudra bientôt le partager avec cet homme que je côtoie en cet instant sans que la raison m’en soit vraiment donnée. Cet homme que je soupçonne à présent de vouloir susciter de ma part une reddition accélérée. Après quelques temps de patients et louables efforts pour captiver mon intérêt, il s’aperçoit de ma distraction – de mon absence, devrais-je dire – et dépose ses revues pour prendre mon visage entre ses mains. Ce contact me laisse interdite.

            — Ginie, ma petite Ginie, dit-il. Tu m’as manqué, tu sais.

            Je n’aime pas ce surnom qu’il me donne et qui me fait penser à une marque d’alcool. J’aime moins encore qu’il me caresse les joues, les ailes du nez avec le plat de ses deux pouces, dans un mouvement symétrique, circulaire et rêveur, comme s’il buvait à petits coups un verre de Brandy. Ses lèvres plusieurs fois effleurent les miennes et ce baiser répété suffit à me causer une indicible angoisse. Mais je ne veux pas lutter. D’ailleurs en ai-je la force ? Pour quoi et contre quoi devrais-je lutter ? Cette situation en vaut une autre. Ouvrir une portière de voiture, prendre un ascenseur, manger des petits pois, me laisser caresser et bientôt étendre sur ce lit, tout m’est rigoureusement équivalent, indifférent. En quête d’arguments, ma raison n’embrasse que des régions vides ; tous mes repères se sont évanouis.

     Il se lève et m’attire à lui. Alors, sans me regarder, la tête penchée sur mon épaule, avec des gestes sûrs et décidés, il me déshabille. Il me déboutonne, me dégrafe, m’épluche, m’ouvre, me met à nu. Je le laisse opérer, ne sachant que faire de mes mains, de mes gestes à moi, de ma respiration même ; je suis pareille à une infirme. Il tire sur ma culotte, me déchausse, lance mes vêtements un à un sur une chaise. Je songe qu’il pourrait tout aussi bien les laisser où ils tombent, par terre, sur la moquette. Ma propre passivité m’effraie et à la fois me sert d’asile. Enfin il ouvre le lit, et sans qu’il ait à envisager d’y allonger le corps qu’il vient de dénuder, j’en prends l’initiative. Il me sourit amicalement. Je le devine soulagé par mon esprit coopératif ; il se déshabille à son tour, très vite, comme s’il craignait que je puisse m’impatienter. C’est un homme bien en chair, dans la force de l’âge, velu sur les cuisses et le torse. Son sexe est impressionnant ; déjà il est dressé.

     La lumière de la chambre, quoique indirecte, m’indispose. Le fait aussi qu’il néglige de ramener sur nous ne serait-ce qu’un drap. Mon malaise augmente dès qu’il s’empresse auprès de moi, palpe mes seins ou tente d’exciter mon sexe qui demeure insensible. Avec difficulté, il m’écarte et me pénètre, ce qui m’est douloureux. Lentement alors il s’ébranle ; durant de longues minutes, son rythme ne variera pas.

     Je ne sais qu’ajouter à cela. Je ne connais durant l’étreinte ni sentiment ni émotion d’aucune sorte. Un instant, j’avais craint de sa part quelque démonstration préalable de tendresse à laquelle il m’eût fallu répondre, de trop longues caresses, des murmures amoureux, une exigence de réciprocité en somme. Mais rien. Rien, heureusement. Nous sommes allés tout droit au fait et il m’est à peine nécessaire de soupirer ou de feindre quoi que ce soit. Il est tout à son œuvre, couché sur moi, mouvant sur moi ; mais c’est en lui qu’il se meut, même si c’est en moi qu’il jouit. Ce dernier point est secondaire. Je me rends compte de son absence, de ma seule présence en ce moment, sur ce lit, sous son corps, ailleurs et nulle part à la fois.

     L’humidité soudaine de nos sexes m’indique qu’il achève de jouir. Son mouvement se poursuit mais décélère peu à peu. Il se retire. Je me referme. En allongeant le bras, il éteint la lumière puis ramène le drap ; alors il me caresse la joue et demande :

     — Ça va ?

     — Ça va, dis-je.

     Il fait nuit noire dans la chambre. Le cadran d’un réveil jette une lueur verte, pareille à un halo, irréelle. A mes côtés, couché sur le dos, Gérald déjà ronfle doucement tandis que sa semence continue de s’écouler avec lenteur hors de moi. La régularité de sa respiration m’apaise et m’obsède à la fois. Je voudrais profiter de cet instant pour rassembler mes pensées, mais la pensée me fuit. Je voudrais m’endormir ; le sommeil ne vient pas. Longtemps je reste là, étendue, les yeux ouverts dans le noir de la nuit, sans bouger, l’âme vide. Le déclic des minutes sur le cadran verdâtre, entre les ronflements légers, jalonne sans déroger un temps qui me semble infini.

     Je rêve que je cours dans le noir. Je rêve que je suis ivre, et que je cours dans la nuit.

Le Sang impur

Le Sang impur

Incarcérée à la prison de la Force, sous la Terreur, Marie-Thérèse de Savoie-Carignan, princesse de Lamballe, dévide de mémoire le déroulement de sa vie. Amie intime de la reine Marie-Antoinette, sujette à l’épilepsie, contaminée par le « mal de Naples » par le biais de son mari débauché et défunt, elle reconstruit sa vie loin de la cour de Versailles, traverse les milieux occultistes et la franc-maçonnerie – et un odieux chantage aussi – pour rencontrer enfin le médecin allemand Seiffert qui lui rendra le goût de vivre. Mais l’histoire la rattrape à l’heure de la révolution ; sa fidélité à la reine, un déluge de calomnies savamment orchestrées, la menace aux frontières, l’enferment peu à peu dans une nasse mortelle.

Genre Littéraire :
Roman historique
Éditeur :
Les Éditions du Net
https://www.leseditionsdunet.com

Parution : 2013
ISBN : 978-2-312-01452-4
Format : 15 x 23 cm
Nombre de pages : 190

Version papier : 13 €
Version PDF: 9,10 €

Extrait

Des bruits assourdissants de grilles et de portes claquées viennent de la sortir de son évanouissement. Ses yeux s’ouvrent. Le cauchemar demeure ; de quelque côté qu’elle passe à présent, il est là devant elle, autour d’elle et en elle. Le rêve et la veille se confondent ; images et souvenirs font ensemble une mauvaise farandole qui n’a plus de la vie que son tourbillonnement.

Deux mains féminines lui tiennent les tempes, épongent d’un mouchoir la sueur qui perle sur son front. Les journées d’août sont épuisantes et la chaleur fait suinter les murs sombres qu’on devine verdâtres, de ce vert terreux des côtes d’Angleterre quand elles ruissellent sous la pluie. Thérèse fouille l’ombre d’un regard fiévreux pour voir où il se cache ; elle le découvre dans l’angle de la porte et du mur ; il est là, toujours là, qui la guette et l’attend. Elle en perçoit les reflets bleus, la carapace marbrée de jaune, les yeux dont les lueurs dégagent cette patience cruelle qui est le propre des bêtes silencieuses, le mouvement léger des antennes toujours en quête, les pinces énormes, jetées devant comme des rames ou des crocs de boucher. C’est un vieux homard, vieux de quarante-deux ans ; il est rare qu’on en trouve de si vieux. Mais celui-là est immortel.

Elle referme les yeux. Machinale, sa main se porte à sa coiffure, de plus en plus défaite comme un écheveau emmêlé, pour y sentir la résistance légère du papier ; le billet est à sa place, dissimulé sous les boucles, la lettre de la reine qui est pour elle une charge de plus, une occasion porteuse de mort. Thérèse s’est laissé surprendre une fois encore. Seiffert a bien raison ; Thérèse est trop bonne. Mille fois, elle s’est perdue.

« Comment allez-vous, madame ? »

La princesse ne répond pas mais fixe à nouveau l’angle du mur et de la porte où, semble-t-il, l’image répugnante du homard a disparu. Comment va-t-elle ? Cette question. Comment va-t-elle. Elle en détache les syllabes une à une, puis les lettres. Elle les épelle. Les lettres, détachées comme les perles d’un collier, roulent et s’éparpillent dans sa mémoire, privées de sens et de lien car le fil est rompu.

« Je ne suis pas condamnée, murmure-t-elle. »

Mais c’est inutile. Illusoire. Les lettres roulent et s’éparpillent dans sa mémoire. Rien ne les arrêtera plus.

Par delà les portes et les grilles et sans discontinuer, proviennent des voix d’hommes, des éclats de colère ou des rires, des paroles monocordes qui égrènent des listes, d’interminables listes. On circule beaucoup ; parfois la mine d’un officier, d’un sans-culotte, vient s’encastrer dans les barreaux de la grille du judas et reluque, tantôt avec cette expression de patience cruelle, tantôt de ce regard qu’on porte sur les objets insignifiants dont l’existence soudain paraît aléatoire ou reléguée dans le passé. Ou bien c’est l’étonnement, les messes basses qui ne disent rien qui vaille, l’expectative. Et c’est peut-être pire. Une gardienne, solidement bâtie, rougeaude, aime à faire courir son bâton sur les barres métalliques, histoire de réveiller les dormeuses, de leur couper la route vers les rêves ; c’est une femme du peuple, une vachère vêtue de nippes, et à voir son air, une teigne. Mais ici, dans les couloirs de la Petite Force, les teigneux font la loi. N’importe qui fait la loi.

Thérèse refuse de telles pensées ; toujours elle s’est efforcée de croire que la méprise – oui, la méprise – était source de tout, que le peuple était bon, qu’en dépit de sa violence, de sa vulgarité, il méritait une attention égale, une constante charité. Hélas, aujourd’hui croire et penser deviennent inutiles et les idées s’effacent devant les choses ; et si Thérèse écarte ces pensées, c’est moins par grandeur d’âme que par effroi ; il est de ces réalités qu’on découvre soudain qui empêchent même de raisonner.

Ici, on les appelle les « putains royales ». C’est cela qui empêche de raisonner.

Le serpent dans le jardin

Le serpent dans le jardin

« Une principauté d’Europe orientale, au XIXème siècle, où domine une atmosphère de complot et de coup d’état entre légitimistes et partisans, autour d’une princesse étrangère que tout désigne à la vindicte judiciaire. »

Dans une prison à la mesure des folies de Piranèse, une âme fière se débat au procès d’une pensée commune et par les longs couloirs d’une procédure alambiquée qui mène à sa distillation.
Peut-on demeurer simple et vrai parmi la corruption et l’habileté des mises en scènes qui nous font achopper ?

Helena d’Avallsjörne, insulaire de nature, ignore beaucoup de la terre ferme où toute chose est convenue, jusqu’à ce qu’elle comprenne qu’il est un temps pour provoquer, un autre pour séduire et abdiquer.

Genre Littéraire :
Fiction historique
Éditeur :
Éditions Publibook, Paris
https://www.publibook.com

Parution : 2012
ISBN : 9782748398458
Format : 14 x 20 cm
Nombre de pages : 298

Version papier : 22 €
Version PDF : 11,50 €

Extrait

            Vingt-et-un septembre, de l’année 1828 sans doute, un peu avant la minuit. Une voiture franchit le portail de l’ancien Palais royal et traverse la cour anciennement baptisée cour d’honneur. Elle s’immobilise. L’une des portières s’ouvre ; la voix du cocher se fait entendre ; un officier descend, suivi d’une silhouette féminine puis d’un second officier.

            — Retournez à la chancellerie, dit quelqu’un.

            Précédée de son escorte, la voiture s’avance, prend son virage et rejoint la porte du boulevard, laissant ses passagers devant l’escalier monumental de l’entrée. Une pluie fine et froide mouille l’air de la nuit.

            C’est un bâtiment étrange ; pour être plus précis, un complexe architectural que les années et les époques ont agrandi, modifié, rendu… complexe. De renaissance tardive, voire très tardive, il s’y mêle des influences byzantines encore discernables par la présence d’une coupole centrale, construite sur pendentifs, la seule qui subsiste. Pour le reste, des verrières modernes ont remplacé les dômes secondaires effondrés. On distingue en façade, parmi les armoiries de stuc dévorées par le temps, quelques motifs ottomans.

 

            Les trois ombres gravissent sans bruit les marches jusqu’au perron ouvert pour passer le guichet ; elles débouchent dans un hall dont l’immensité peut se deviner à la résonance des pas sur le sol dallé. Non loin de la porte principale, le guichetier somnole dans le halo d’une lampe en veilleuse ; son bureau, installé sur une estrade au milieu d’un ensemble hétéroclite de casiers et de bancs empilés, donne l’aspect d’une réalité à l’abandon, glissant lentement vers l’oubli. Toute chose dort en cet endroit dans une ambiance de songe blafard et sans réelle densité.

            Au bruit que font les visiteurs en entrant, l’officier s’éveille. Avec indolence, fatigue, il se lève de son siège, contourne son bureau, descend de l’estrade et s’approche des nouveaux arrivants. C’est un homme assez menu dont la fonction a usé et rendu terne le regard. L’un des gardes lui tend un pli. Le guichetier, sans rien dire, le reçoit,  retourne à son bureau.

            Forçant la lampe à huile, s’aidant d’une loupe grossière, il consulte gravement la lettre cachetée ; il se saisit alors d’un registre qu’il feuillette longtemps avant d’y fixer son attention, de s’emparer d’une plume et d’y griffonner quelques mots.

            Il revient vers les visiteurs, muni d’un petit sac de toile ; s’adressant à celle qui fait l’objet d’une démarche aussi tardive, il déclare d’un ton morne :

            — Bonsoir, madame. Veuillez déposer, je vous prie, vos bagues, bracelets, collier, boucles, agrafes dans ce sac, ainsi que votre ceinture et vos chaussures. Le règlement l’exige.

            Docile, celle qu’on sollicite s’exécute. Elle ôte sans peine ses bagues, ses deux bracelets, son collier de perles blanches qu’elle abandonne dans le grossier sac de toile que l’homme lui présente ; de même, elle se défait de sa broche cerclée de rubis, de ses épingles nacrées, laissant descendre sa chevelure visiblement arrangée à la hâte. Enfin, elle déboucle sa ceinture puis se déchausse.

            Pieds nus, elle frissonne.

            Nulle expression ne marque son visage assez jeune ; elle paraît endormie, autant que l’officier, mais d’un autre sommeil plus léger et lointain à la fois. Le vieux guichetier noue le sac, accompagnant son geste d’un mouvement des mandibules, puis ramasse les chaussures avec une déférence inattendue et un peu ridicule. Ainsi chargé, il s’incline et s’en va.

            La jeune femme rajuste son manteau dégrafé ; elle attend, encadrée de ses gardes du corps. Alors elle ferme les yeux et vacille, prise d’ivresse, dirait-on ; il semble qu’elle cherche à dormir.

 

            Un peu plus tard, un autre officier apparaît, équipé d’une lanterne ainsi que d’un trousseau de clefs qui tintent au rythme de son pas inégal. L’homme s’approche du groupe ; sans même dévisager la nouvelle venue, il adresse aux gardes un signe bref, puis tournant aussitôt les talons il précède la troupe en claudiquant.

            L’escalier qu’ils gravissent est si large qu’on distingue à peine les rampes de pierre noyées dans l’ombre. Trop faibles pour illuminer un tel édifice, les veilleuses font surgir d’inexplicables constructions, des charpentes ou des pans de muraille, des arches qui les portent ou les épaulent sans apparente nécessité. Une forte odeur de moisissure et d’urine emplit l’air. Et çà et là, des relents de poutres calcinées.

            Au second palier, un passage voûté conduit à une passerelle de bois donnant accès à un second corps de bâtiment. Au-delà du martèlement des bottes, du bruit métallique des clefs, du grincement lointain d’une poulie de lanterne, dans l’espace sonore, il semble que se meuvent des fantômes captifs entraînant avec eux leurs fragments de mémoires. Des soupirs et des plaintes montent par intermittence des grilles d’un étage inférieur en échos plus réels. Tout est prétexte et occasion d’écoute dans un silence aussi ample.

            Et si l’on tend l’oreille, parfois on entend, entre les bruits de bottes, le frottement très doux d’un pied nu trébuchant.

            Après le passage d’une grille, la troupe croise la ronde avec laquelle elle échange de brefs saluts, puis s’enfile dans un corridor à pilastres pour déboucher sur une étroite et longue galerie bordée par intervalles d’une balustrade de pierre. Dépassant plusieurs cellules dont les entrées sont béantes, le porte-clefs s’arrête enfin devant l’une d’elles ; il se poste au garde-à-vous et attend. De même, les deux gardes du corps s’immobilisent en claquant des talons ; par la seule fixité de leur regard, ils désignent à la jeune femme l’entrée de la cellule. Elle y pénètre. La porte se referme sur elle en grinçant. Le porte-clefs fait tourner la serrure et pousse les verrous de fer.

 

            Elle demeure debout, dans l’ombre noire. Elle écoute le bruit déclinant des pas sur les dalles, quelques accents de voix, le tintement des clefs qui s’éloignent dans le silence. Seule, elle frissonne encore, puis se sent de nouveau gagnée par le sommeil. Le narcotique fait effet. A tâtons, elle recherche sa couche et découvre une paillasse rude. Elle s’y allonge, enveloppant ses pieds froids dans son manteau. Alors elle retrouve la nuit qu’une heure plus tôt elle a quittée.

Relation singulière de l’histoire de la belle et la bête

Relation singulière de l'histoire de la belle et la bête

Sur le récit de Madame Leprince de Beaumont (1740), après l’œuvre de Cocteau (1946), la version plus intimiste, cruelle, fantasque, d’une histoire qui intrigue.

Madame Leprince de Beaumont écrivit en 1740 un conte pour enfants. Quelques pages, en vérité. Cocteau en tira un film en 1946, qui connut un certain retentissement. Depuis, et récemment, le thème a été largement exploité.

Il ne s’agit pas ici d’un roman, mais plutôt d’une fantaisie romanesque laquelle, partant rigoureusement des prémisses du conte, se pose la question du pourquoi.

Une princesse accepte, pour sauver l’honneur et la prospérité de son père, d’accompagner une année durant, un… une… entité improbable, instable, mouvante, dont l’existence même peut être contestée.

On songe au « ça » de Freud et de Groddeck, dans un dialogue réputé impossible avec l’âme humaine. Dans un décor de château, de jardins somptueux, de dîners aux chandelles, avec des fantasmagories, des incongruïtés surgissant de partout, en dépit de toute espérance, le dialogue se lie enfin, et dénoue, maille après maille, tous les nœuds de l’âme humaine.

Conçu littérairement dans un style et une matière qui empruntent largement au médiéval, les arguments résonnent parfois d’accents modernes. C’est que l’on peut s’attendre à tout dans cet univers-là.

Genre Littéraire :
Fantaisie romanesque
Éditeur :
Éditions Publibook, Paris
https://www.publibook.com

Parution : 2011
ISBN : 9782748372199
Format : 14,5 x 21 cm
Nombre de pages : 172

Version papier : 20 €
Version PDF: 10,50 €

Extrait

Le roi pénètre dans ses appartements, renvoie son chambellan, demande à n’être dérangé sous aucun prétexte. Il rajuste son pourpoint et les manchettes de sa fine chemise, redresse le talisman qui orne son poitrail large, puis s’avance vers l’antichambre au fond de laquelle brûle un grand feu.

Sept femmes attendent, silencieuses, disposées comme des statues autour de l’âtre. Somptueusement vêtues de velours brodés d’or, elles sont jeunes, toutes plus jolies les unes que les autres. Dès son apparition, leurs regards se tournent et le toisent avec indifférence. Le roi se plante derrière elles et l’on peut deviner dans ses yeux une satisfaction mêlée de gêne.

Il approche un fauteuil et ferme ainsi le cercle autour de l’âtre. Il sourit faiblement, puis dit d’une voix mal assurée :

— Je suis bien aise de vous voir toutes auprès de moi. Cela fait si longtemps…

La phrase meurt dans le silence. Les flammes crépitent.

L’une des femmes soupire :

— Ce n’est pas pour le plaisir de nous voir assemblées que vous nous avez fait venir de si loin, n’est-ce pas ? Aussi, père, vous déciderez-vous à nous expliquer…?

Le roi hésite, caressant son menton de ses doigts charnus et lourds de bagues.

— Non, dit-il. Bien que ce plaisir vaille tous les autres…. – il hésite encore. Non, mes chères filles ; c’est pour une tout autre raison. Une raison fort étrange, que moi-même ai peine encore à entendre. A admettre. A… envisager.

— Etrange ? demande l’une des femmes.

— Oui, étrange ; Vastalie. Très étrange. Et à ce point étrange que je me demande si je n’ai pas rêvé.

Le roi laisse planer un nouveau silence et, décidément, ne semble pas pouvoir s’éveiller de cette chose fort étrange qu’à présent sept regards s’apprêtent à dépecer. Il enfouit son visage dans ses mains puis se redresse avec effort et commence :

— Voilà, mes chères enfants. Cela s’est produit il y a moins d’un mois. Nous chassions le cerf blanc, suivant la coutume, dans la forêt de l’Autrepas. Ce domaine est immense, vous le savez ; mais j’en connais tous les détours, les taillis, les vallons, les sources et les essences d’arbres, comme si cette forêt était… en moi. 

Pourtant 1’animal nous entraîna si loin ce jour-là, que nous nous dispersâmes et que bientôt je me trouvai seul. Je songeai alors à regagner le château, car le soir venait et je n’entendais plus les cris de la meute. J’allais au trot, par un chemin très bien connu de moi, lorsque brusquement j’eus le sentiment que la forêt s’épaississait et que j’y chevauchais pour la première fois. Cette impression, diffuse tout d’abord, m’inquiéta vite. Tout ce qui m’était familier, me devenait tout à coup étranger comme si j’en avais perdu toute mémoire. Je fis galoper mon cheval car le chemin, j’en étais sûr, menait au château. Pourtant, cette certitude disparut à son tour ; et l’ombre à présent dérobait les sous-bois. Le ciel se violaçait ; tout était calme, sans même un cri d’oiseau.

Je m’arrêtai alors et descendis de ma monture, pour tenter de comprendre, de m’éveiller peut-être d’un rêve inopportun. Marchant un peu dans ce qui m’apparaissait de plus en plus comme un domaine mystérieusement surgi de la nuit, j’aperçus soudain derrière un rideau d’arbres une large grille entrouverte. Je m’avançai stupéfait jusqu’à celle-ci et découvris alors qu’elle donnait sur un parc immense, faiblement éclairé par les reflets de la lune. A ma grande stupeur, je vis se profiler au fond du parc la silhouette imposante d’un château somptueux. J’étais au comble de l’étonnement. Cette forêt faisait partie de nos domaines depuis tant de générations et à ma connaissance, aucun seigneur, aucun baron n’y avait élu domicile.

Je décidai malgré mon inquiétude d’éclaircir ce mystère et empruntai l’allée centrale. Le parc était magnifiquement entretenu ; les fleurs l’embaumaient encore de leurs parfums diurnes, et mon regard fut bientôt attiré par un splendide buisson de roses. L’une d’elles, quoique fermée, me sembla belle entre toutes ; je la cueillis machinalement, peut-être pour m’assurer que je ne rêvais pas. Mal m’en prit ! A cet instant, une voix énorme et monstrueuse, surgie d’on ne sait où, se mit à rugir :

 — Impudent ! Qui donc te permet de prendre ce qui ne t’est pas dû ?

Je ne suis pas un poltron, mais j’avoue qu’alors peu s’en fallut que je ne défaillisse. Je balbutiai :

— Qui êtes-vous ? Où êtes-vous ?

— Que t’importe ? répondit la voix monstrueuse. Je suis le maître de ce domaine. Voilà quarante-sept années que tu chevauches sur mes terres sans t’en apercevoir !

— Pardonnez-moi, messire… repris-je, sans vouloir offenser cet inconnu que je ne voyais même pas ; mais il me semble que jusqu’à présent, le roi de ce domaine… c’est moi.

Un rire dément roula dans la nuit comme un grondement de tonnerre.

— Tu n’es que le roi des apparences ! rugit enfin la voix. Et je devrais te punir de mort pour avoir osé cueillir cette rose. Mais soit, je serai clément pour cette fois et même te la laisserai emporter si, en échange… tu me laisses ta femme pour le temps d’une année.

Décontenancé par ce marché aussi sordide que ridicule, je m’empressai de répondre :

— Hélas, messire, mon épouse est morte en mettant notre dernière fille au monde.

— Tu t’esquives, ô souverain des apparences, reprit la voix terrible. Mais qu’à cela ne tienne ! Apporte-moi donc l’une de tes filles avant la prochaine lune.

— C’est impossible… bredouillai-je. Qu’espérez-vous lui faire ?

— Rien qui ne lui déplaise ; je t’en fais le serment. Si tu n’acceptes pas mon offre, tu ne franchiras pas vivant la grille de ce parc.

Aussitôt, je calculais en moi que je pouvais feindre d’accepter ce marché et m’enfuir ; mais 1’inconnu débusqua mes intentions comme s’il lisait dans mes pensées :

— Attention, roi ! Si tu es fourbe, tu mourras et ton royaume s’effondrera ; tu apprendras à tes dépens que rien ne résiste à ma réprobation.

— C’est entendu, répondis-je. A mon tour, je vous fais le serment d’amener ici même 1’une de mes filles, avant 1a nouvelle lune. Mais il me faut d’abord les consulter.

— Eh bien va ! reprit la voix. Et tâche d’être convaincant !

Je pus enfin sortir du parc par la grille qui se referma mystérieusement sur moi et qui sembla s’évanouir dans la nuit. Retrouvant mon cheval, je repris mon chemin lequel, peu à peu, me redevint familier. C’est à l’aube que j’atteignis le château, tenant toujours en main cette rose laquelle, à ce jour, m’interdit encore de croire que j’aie pu rêver…

Adeline dans l’eau

Adeline dans l'eau

« Sept existences de femmes, dont les événements s’enchaînent depuis la révolution jusqu’à nos dernières décennies, comme les séries de grains d’un mystérieux chapelet porteur d’une malédiction.  »

Jeune mystique dévouée à la vie religieuse, dans la France pré-révolutionnaire, Adeline se heurte à la dépravation des mœurs dans les couvents, tombe enceinte « inexplicablement » et se suicide dans la Seine, à Paris.

S’en suivent des scènes oniriques post-mortem, à la mesure de l’imaginaire d’Adeline, qui ne cesse de « vivre », hélas, et qui poursuit son projet. C’est l’engrenage d’une transmigration informelle, scellée par une sorte de malédiction liée à l’existence d’un mystérieux chapelet.

Adeline renaît un peu plus tard sous le nom d’Adèle, jeune aristocrate mariée à un noble révolutionnaire qui se compromet dangereusement et qu’elle tente de faire libérer par des moyens peu licites, puis sous celui d’Adélaïde, épouse de bonne famille sous la restauration aux prises avec l’existence étriquée, étouffante, des milieux mondains. Etrangement marquée par la noyade qui écourte ses vies successives, on la verra renaître en Adélie, fille facile puis soubrette à Fontainebleau sous le second Empire, finalement modèle d’un sculpteur raté ; en Adéloïse, fille de pauvres logée sous les combles à l’époque d’Haussmann ; en Adelphie, jeune dactylographe abusée par un chef d’entreprise stylé mais compromis dans une large affaire de proxénétisme, dans l’après-guerre ; en Adeline, enfin, étudiante brillante des années soixante-dix, qui bouclera lucidement la boucle de la malédiction.

Ces existences successives ne connaissent pas de rupture. A elles succèdent, invariablement, les expériences post-mortem, comme des rétributions provisoires et de nouvelles orientations. Avec ce que comporte d’irrationnel, d’incongru, de percutant, l’esprit des rêves à de nouvelles vies.

Une phrase, placée en exergue, extraite d’un livre de la Bible, suffit à résumer le destin d’Adeline et en donne la clef :

“Si tu achètes un esclave hébreu, il te servira durant six années ; à la septième, il sortira libre sans rien te donner.” (Exode ; 21. 2)

En apparence conçu comme une suite de nouvelles, ce roman adopte le modèle de la variation, sans rupture ni omission d’aucune sorte dans la succession de sept existences féminines qui s’enchaînent comme les perles d’un mystérieux chapelet. C’est que Dieu, là-dedans, a finalement son mot à dire…

Genre Littéraire :
Roman social, initiatique
Éditeur :
Éditions Publibook, Paris
https://www.publibook.com

Parution : 2010
ISBN : 978-2-7483-5870-4
Format : 14 x 20 cm
Nombre de pages : 242

Version papier : 22 €
Version numérique aux formats PDF et EPUB  : 3,49 €

Extrait

          Adeline Delahague naquit le huit septembre mille sept cent trente-sept, jour de la Nativité de Notre-Dame. Son père, Maurice Delahague, occupait une fonction honorable dans l’intendance de la Maison royale et sa mère, couturière, effectuait de constantes allées et venues entre Paris et Versailles  ; Adeline fut confiée à une nourrice qui l’éleva jusqu’à l’âge de cinq ans, avant d’être mise en pension chez les Filles de l’Ordre de la Trinité où elle reçut une éducation convenable. Ses parents veillèrent à ce qu’elle ne manquât de rien et surent se montrer généreux envers le couvent qui l’accueillait afin que leur fille fût traitée et instruite avec les meilleurs égards. Ils lui rendirent des visites régulières durant lesquelles ils la comblaient de sucreries et de gâteaux, de nouvelles robes confectionnées par l’atelier maternel, l’interrogeaient sur ce qu’elle avait récemment appris et la promenaient quelquefois, lorsque le temps le permettait, jusqu’aux berges de la Seine.

          Adeline était une enfant chétive et pâle, qui ne montrait aucun empressement à vivre. Sans être malheureuse ou languissante, elle partageait rarement les jeux de ses compagnes souvent plus âgées qu’elle, ne cherchait pas à se distraire et pouvait demeurer à rêver des heures entières sans s’occuper. Les religieuses Mathurines qui avaient la charge de son éducation s’attachèrent à cette nature affable et peu encline à se confier comme on s’attache à un objet précieux dont on ignore le prix ; la plus vieille d’entre elles, sœur Marguerite, l’aima beaucoup. Ce fut cette dernière qui lui apprit à lire, à écrire, à coudre et à broder de vieux vêtements que l’Ordre destinait aux pauvres ; durant ces occupations ordinaires, la religieuse scrutait le caractère énigmatique de la jeune pensionnaire sans pouvoir véritablement percer le secret de ses silences, de ses sourires soudains et furtifs, de cette manière qu’elle avait parfois de fixer avec insistance une sœur qui travaillait dans l’entourage, de soutenir un regard, sans insolence mais par une sorte de curiosité irréfléchie.

          Adeline, en vérité, s’éveillait très lentement aux réalités et cette lenteur avait en soi quelque chose de prudent, d’opiniâtre, de progressif dans sa façon d’appréhender le monde tout en gardant par devers lui les plus grandes distances. Ses jeux étaient secrets et solitaires. Avec sœur Marguerite, elle confectionnait des poupées de chiffon, et dans le jardinet enclos par les bâtisses du couvent, elle traçait au sol d’imaginaires et somptueuses demeures fermées par des murailles en disposant en ligne des cailloux et des bâtons. Elle n’aimait pas que ses compagnes vinssent la déranger dans ses rêveries intimes et s’il advenait qu’une intruse s’immisçât, elle les abandonnait aussitôt et s’occupait autrement. Adeline ne marquait pas ostensiblement sa méfiance vis-à-vis d’autrui mais pratiquait un art discret de l’esquive sans jamais se départir de sa douceur, ce qui à la fois la rendait insaisissable et excitait l’envie de la saisir. Les conséquences de cette attitude pouvaient la flatter ou l’ennuyer ; Adeline, au fil des années, se ressentait comme la dépositaire d’une vérité qui naissait en elle, se formait, prenait corps, et que d’instinct elle protégeait. Le calme de la pension, les lectures religieuses et les pieuses réflexions de ses éducatrices favorisaient cette éclosion ; le monde l’aurait contrariée.

          Le monde d’ailleurs l’inquiétait. L’enfant n’avait de ses parents qu’une image imprécise de personnes très affairées, lointaines propriétaires de son nom, de son corps, de son vêtement, de son apparence en somme, mais nullement de son âme qu’elle tenait cachée. Les cadeaux qu’elle recevait lors des visites ne lui procuraient aucune émotion ; s’il s’agissait de sucreries, elle s’empressait de les distribuer aux autres pensionnaires comme si le fait d’accepter quelque douceur étrangère eût comporté un danger. Mais les sorties du couvent lui étaient fort pénibles ; la ville lui paraissait sale, hostile, arrogante, misérable ; sur les visages de la rue, elle ne voyait que la rudesse, les mines louches, les rires grossiers, jusqu’à l’eau de la Seine qui lui semblait charrier comme une vieille soupe froide et sûre, la masse des humeurs mauvaises et des ordures de Paris.

          Sur maintes allusions de ses parents, elle prévoyait qu’un jour il lui faudrait quitter l’ambiance recueillie du couvent pour épouser cet univers criard qu’elle ne pouvait assimiler. Rentrée de ses promenades et laissée seule, elle allait au jardin et se terrait sous les branches basses des arbustes qui longeaient le mur, imaginant mille solutions naïves pour éviter l’échéance redoutable.

          — Cette enfant est curieuse, disait souvent la mère supérieure.

          — Elle porte Jésus dans son cœur, lui répondait sœur Marguerite.

          La vérité était sans doute aussi simple que cela. Quoique la préoccupation d’Adeline fût estimée précoce, on l’admit simplement. Sa docilité aux études, l’enthousiasme qu’elle manifestait à suivre les offices ou à faire pénitence, tout inclinait les sœurs à la juger disposée à la vie religieuse. Elle se prit en outre d’une véritable passion pour les chants liturgiques ; sa voix, encore enfantine, témoignait d’une acuité auditive remarquable et força même l’admiration de quelques prélats de passage.

 

          Le couple Delahague fut entretenu plusieurs fois par la prieure des Mathurines au sujet des dispositions évidentes de leur fille mais demeura sur la réserve, remettant à plus tard toute décision sur son avenir. Néanmoins, comme s’il voulait signifier par là que le projet des religieuses le contrariait, il se montra soudain moins généreux envers l’ordre puis se limita strictement au paiement de la pension.

          Adeline allait sur ses douze ans lorsque son père la retira du couvent de l’Ordre de la Trinité pour la conduire chez les Filles de l’Union chrétienne. Le prétexte donné par Maurice Delahague fut qu’Adeline devait s’ouvrir à une vie plus mondaine avant de choisir l’existence à laquelle elle désirait se vouer, et qu’une communauté séculière convenait mieux à cet effet. On sut par la suite que la sœur de monsieur Delahague dirigeait depuis peu l’organisation fondée jadis par Saint Vincent de Paul. Il n’était pas douteux qu’en ces conditions le choix d’Adeline serait  mieux orienté.

          L’enfant fit ses adieux à sœur Marguerite et à la supérieure du couvent avec au cœur la douleur de celle qu’on retire à ses parents. Mais comme à son habitude, elle dissimula sa peine par des regards absents ou indolents qui circulaient parmi les choses et les êtres sans vouloir se poser. Sœur Marguerite qui lisait dans cette âme comme un aveugle lit dans un livre connu et retenu par cœur, ne put s’empêcher d’écraser deux larmes aux coins de ses vieilles paupières après l’avoir embrassée. La supérieure lui fit cadeau d’un chapelet de buis…