La Face obscure de l’Aurore

En l’an 1498, dans la campagne flamande (ou picarde?), Yvelenn, née Deschemins, s’apprête à être mariée à Johan, bâtard probable du Seigneur de Couceyre, sur les terres même du baron Fulbert, son fils. Imbroglio d’intérêts, de manigances, de petites combines paysannes, pour gagner ici ou là, un bœuf, un attelage, ou une terre à pâturer. L’affaire tourne mal ; le baron et ses frères se montrent indélicats et Johan se pend. Alors s’égare le destin d’Yvelenn, hors des sentiers battus…

Actes de sorcellerie, douces orgies nocturnes et féminines s’égrènent au long de ce récit pour soulager la nuit des injures du jour ; c’est la face sombre de l’aurore auquel rien n’est promis ; puis l’engrenage des tribunaux civils, la question et la descente vers l’in-pace, jusqu’à la résurgence inespérée de la vie, dans l’atelier d’un peintre flamand connu, très connu…

Genre Littéraire :
Roman historique et social
Éditeur :
Les Éditions du Net
https://www.leseditionsdunet.com

Parution : 2014
ISBN : 978-2-312-03178-1
Format : 15 x 23 cm
Nombre de pages : 238

Version papier : 18 €
Version PDF: 12,60 €

Extrait (premières pages)

 Johan s’apprête à rencontrer le père Vendrin. Au besoin, il pourra mentir ou raconter des histoires. D’abord, il lui est venu à l’esprit de gagner à sa cause le chapelain ; mais il songe que le curé, c’est mieux. Lui seul peut parler au baron de Couceyre et modifier la date du mariage. Johan a la gorge nouée ; c’est un anxieux, fréquemment sujet aux maux d’estomac. Il était, il y a peu, le garçon le plus fier et le plus heureux du village. Et maintenant l’objet de sa fierté lui barre la route comme un obstacle.

Johan attend devant le portail que le père Vendrin ait achevé l’encensement des autels. Toute la nuit, il a tenté de construire une argumentation de fortune ; ce matin, fatigué, il ne se sent plus la force de convaincre. Ses aigreurs d’estomac continuent. Un gros bouton bourgeonne sur sa joue, un autre à son menton. Il a mal à la tête.

Voilà le curé qui arrive et ferme derrière lui la lourde porte de l’église. C’est un homme courtaud, d’âge mûr, l’air sévère et qui a bien dormi ; un homme avec une pensée qui ne semble jamais s’élever au-delà des sourcils. Johan a peur de lui parler. Le père Vendrin l’entraîne sur le chemin qui va jusqu’à la Sablière.

— Je n’ai pas beaucoup de temps à te consacrer. Je suis attendu pour un office.

— Mon père, c’est à cause du mariage.

— Je t’écoute.

— Yvelenn et moi, nous en avons parlé ensemble. Elle n’est pas bien en ce moment. Si vous pouviez le reporter à la semaine suivante…

—C’est impossible. Tout est fixé à présent. Et la semaine suivante, le baron et ses frères chassent la renarde aux Andalys. Comme tous les ans.

— La semaine suivante, ce serait pourtant bien.

— Au château, on le prendrait très mal. N’insiste pas, c’est non.

— Alors, reportons le mariage au mois prochain.

— Et tes parents ? Et la famille d’Yvelenn ? D’ailleurs, le baron s’y opposera. Tu sais comme il a hâte de vous voir mariés. Et il est généreux.

— Il me déteste.

— C’est toi qui ne l’aimes pas. A l’occasion de ton mariage, il a remis à tes parents une part du cens, ne l’oublie pas. Ils en ont besoin pour t’établir et tu sauras en profiter. Pense donc un peu aux autres.

— Je sais tout ce qu’on dit de lui.

— Ce sont des racontars. Tu es allé voir la Goodwin ? C’est elle qui t’a mis toutes ces idées en tête.

— La Goodwin dit que la lune sera rousse et mauvaise pour les femmes.

— C’est une sorcière. Un jour, on la brûlera. Yvelenn l’a vue aussi ?

— Sa mère l’en empêche. Et puis Yvelenn ne prend pas tout cela au sérieux. Elle me croit jaloux et trop méfiant. Mais moi, je sais.

— Alors tu m’as menti ?

— Mais non, nous en avons parlé.

— Eh bien, n’en parlons plus ; c’est terminé.

Le père Vendrin marche plus vite pour distancer Johan. Au détour du chemin, il se retourne et lance :

      — Dieu sait ce qu’il fait !

Jean Vendrin, curé de la paroisse du Coumay, ne doute pas qu’Yvelenn est vierge et qu’elle aime un peu Johan. Mais il pressent aussi que cette fille aura le diable au ventre d’ici peu. Ce qui lui fait dire cela, c’est sa beauté qui n’est pas naturelle ; sa mère a beau le taire, on sait de qui elle tient. Johan devra la surveiller. Certes, il est de belles filles qui restent chastes et peu soucieuses de leur corps, pensant avec raison que la beauté est l’ornement du démon. Yvelenn, tout au contraire, est en éveil devant ses propres charmes ; il n’est pas un homme au village qui ne l’arrête au passage et ne lui fasse un brin de cour, les jeunes comme les vieux. Il faut dire que c’est une jolie friandise. Un jour, le père Vendrin l’a aperçue qui se baignait toute nue à l’étang. Elle se croyait seule, à l’abri des regards ; il a pu la contempler à loisir et soudain il lui est venu à l’esprit qu’elle souhaitait sans doute qu’on la surprenne ainsi. Il sait que le baron a l’œil sur elle et la convoite, faisant valoir d’anciennes créances pour s’attirer la complicité des parents. L’invitation des époux à la table des seigneurs de Couceyre est une drôle de coutume. De même l’épreuve qui est réclamée à l’issue du repas. Le père Vendrin devant ces choses ferme les yeux, car l’essentiel d’abord est qu’Yvelenn soit mariée et qu’au plus tôt elle soit grosse. Une fois grosse, elle sera attachée, comme une vache à son piquet. Dieu a bien fait les choses, finalement ; car n’ayant pu contraindre tout à fait la femme à la fidélité, il l’a punie en faisant de son corps une entrave. Jean Vendrin se souvient de sa sœur, sa servante à Naort. Elle aimait ça aussi ; et à cause d’elle, il a fauté. Oh, pas longtemps : trois mois, guère plus. Personne heureusement n’en a jamais rien su, sauf Dieu, bien entendu.