Portrait de famille

« Vers les années 1890, autour d’une famille de petite noblesse provinciale, une rôdeuse et un curé sèment le trouble dans les affaires de succession.  »

En 1890, dans un modeste château picard, une affaire de famille qui couve sur fond de petite noblesse provinciale et d’arrangements entre notables locaux. Le portrait d’une époque en manque de repères, divisée entre laïcs et clercs, et d’une société aux compromis douteux, que bouleversent soudain le tempérament d’un curé hardi et les errances d’une vagabonde qui retient des secrets.

Un texte qui s’inscrit dans un calendrier méticuleux, heure après heure, jour après jour, semaine après semaine, pour raconter des faits, leurs ajustements hasardeux, la place qui revient à l’humain pour les corriger et rendre à la vie un cours plus harmonieux.

Genre Littéraire :
Roman social
Éditeur :
Éditions Publibook, Paris
https://www.publibook.com

Parution : 2004
ISBN : 9782748306231
Format : 14 x 20 cm
Nombre de pages : 177

Version papier : 22 €
 

Quatrième de couverture

« Dans le vestibule du château de Bergues, plusieurs choses retenaient l’attention en dehors du mobilier ordinaire : le titre de noblesse de monsieur le comte, vieux document de famille daté et signé de la main d’un officier royal et mis sous verre, une statuette de plâtre patiné, copie en réduction de l’Apollon poursuivant Daphné, un grand miroir enfin qui reflétait sur le mur opposé une photographie récente de larges dimensions, richement encadrée et sous verre elle aussi.

Sur cette dernière, le visiteur pouvait reconnaître, en valeurs bistre, le perron du château garni d’une vingtaine de personnes s’étageant sur trois rangs, suivant les marches de l’escalier…

Toutes ces personnes se contemplaient fixement dans le grand miroir, sans jamais se lasser. »

Extrait

Mardi matin.

            L’air est vif sur les champs nus de Bergues. À cette heure, la terre labourée offre sa solitude au ciel, sa plainte vide et son engourdissement ; la brume hésite, frileuse encore, aussi légère qu’un voile de vierge ; c’est elle qui estompe la crudité du monde et qui empêche toute prière de s’élever, celle de la terre, de cette chair vivante et blessée.

            Et puis le soleil au-delà. On ne sait rien de lui. On le devine à cette boule étincelante que filtre par instants le ciel blanc. Nais nul ne peut jurer qu’il existe.

            Alors, au ras de cette terre déserte qui affleure, deux cavaliers surgissent. Ils sont posés sur l’horizon, petits, et leur galop est minuscule ; mais à eux seuls, ils donnent au monde un sens et à la vie une histoire. Ils longent l’horizon et franchissent la terre immobile, silencieuse, la terre qui là-bas, sans doute, résonne du choc des sabots.

            Une autre forme vient d’apparaître en contrebas, la silhouette d’une marcheuse que les brumes à présent ne peuvent plus voiler. Elle bouge, comme démasquée soudain, se meut plus vite, court, escaladant les mottes pour gagner le sommet de la butte ou pour atteindre le bosquet. Il y a dans son effort tant d’insignifiance qu’on croirait un insecte, et tant d’ardeur qu’en prêtant l’oreille, on l’entendrait souffler. Ses mains lèvent sa robe pour soulager sa course, la libérer du vêtement dans lequel elle s’empêtre ; puis elle s’arrête un court instant, épiant la direction des cavaliers.

C’est elle qu’ils ont aperçue. Après un bref échange, ils s’élancent à nouveau, s’approchent puis se séparent. L’un d’eux s’en va sur le chemin pour lui couper la route du bosquet. Elle le devine, semble-t-il, fait un écart, cherchant dans le désert des mottes et des sillons une autre issue à sa fuite, mais le désert sans issue se referme sur elle ; déjà le second cavalier qui descend vers le val lui interdit toute retraite. Alors elle court à toutes jambes, avec cette énergie irraisonnée de la bête aux abois, et tente vainement de passer au milieu. Le mouvement des chevaux se resserre. Elle trébuche, hors d’haleine, et s’arrête à deux pas du bosquet.

            Les fils du comte ressaisissent leurs montures et s’avancent pour mieux la détailler.

            — Qu’est-ce que tu fais là ? demande Lucien.

            D’un regard aux yeux pâles, elle le toise, puis très vite se détourne.

            — T’es sur les terres du père Fréville. Elles appartiennent à ma famille. Ici, on n’aime pas les rôdeurs ; alors, réponds : qu’est-ce que tu fais là ?

            Tête baissée, elle se tait. Sa bouche, crispée par la fatigue, laisse échapper un souffle rauque. Dans un va-et-vient vigoureux, sa poitrine se soulève et s’affaisse ; sa main presse sa taille pour soulager une douleur au côté. Rien d’autre qu’une respiration, précipitée.

            — On t’a vue hier sur la route de Quercamps, dit Charles d’une voix qui se force. Alors dis-nous ?

            Nulle réponse. Le souffle décroît peu à peu, le visage demeure braqué vers le sol.

            — Peut-être bien qu’elle est muette.

            — Ou qu’elle est sourde.

            Au mouvement des chevaux, son regard se lève mais sans aller aux cavaliers ; il épie sans vouloir affronter.

            — Allez file ! lance Lucien. Va te promener sur la route. Les routes, c’est pas fait pour les chiens ! Et si on te retrouve à rôder…

            Les bêtes s’ébrouent et les deux frères s’éloignent avant de prendre le galop. Leurs silhouettes bientôt pâlissent sous la brume, deviennent floues sur l’horizon, enfin s’évanouissent.

            Et revient la puissance des songes…