Le Fort des Dames

« Moi, Enguerrand de Fontevert, passé abbé de l’abbaye de même nom, dépose ici, qu’en quatre années de retraite au lieudit le Fort des Dames, jamais je n’ai vu et connu temps de paix et de prospérité égal à celui-ci…

Que la dame Agdelaine, solennellement et devant moi, renonce à recourir à l’ordalie, ainsi que par le passé la tentation lui est venue plusieurs fois. Que le sire Benacth, homme chaste et pieux, n’exerce aucun cuissage alentour, ni par droit, ni par coutume ainsi qu’on le prétend par malice. Qu’enfin nulle femme Araine ne se jette plus au lieudit Val des Folles pour terminer ses jours, ce qui ferait offense à notre créateur, chose dont à ce jour j’ai pu faire le constat. Que si la dame Hersente s’y était jetée jadis, que c’était par errance d’esprit et maladie, suite au siège long et navrant du sire de Senterre ; que si la dame Gallendis a fait de même, que c’était en raison qu’après l’assaut du lieudit Fort des Dames, elle était grosse d’Urien et de sa troupe de brigands, et que le sire Morgan de Machepierre – Dieu ait son âme – en faisait sa putain… »

Un roman féodal dans la pure tradition historique, qui fait singulièrement écho aux pulsions secrètes de l’âme, aux « aventures » du moi intérieur, toujours écartelé entre idéal, passion et rapine.

Genre Littéraire :
Roman historique
Éditeur :
Les Éditions du Net
https://www.leseditionsdunet.com

Parution : 2018
ISBN : 978-2-312-05931-0
Format : 15 x 23 cm
Nombre de pages : 286

Version papier : 20 €

Extrait (premières pages)

La pluie, qui depuis le matin n’a pas cessé, ruisselle des feuillages et fait de la futaie un vrai marais. Benacth marche d’un pas régulier, pesant, aussi fourbu que le cheval qu’il tient par la bride ; l’humidité a plaqué son vêtement sur sa peau, l’imbibe lentement, elle finira par l’absorber dans une somnolence fangeuse s’il n’aperçoit bientôt une clairière, un promontoire, un endroit habité.
Le ciel, Benacth ne l’a pas vu depuis trois jours, car depuis trois jours il traverse un océan végétal où l’eau descend par averses, s’élève par brumes, stagne et détrempe le sol, pourrit les troncs, noie les herbes, suinte, enclose de toute part. Trois jours entre le jour diffus et la nuit noire. Benacth ne fait plus l’effort d’éviter les flaques et les bourbiers ; sa conscience s’enlise, se dilue, et s’absente souvent.
Il s’arrête et, avec lui, le cheval s’arrête.
— C’est le bout du monde, murmure-t-il.
Il arrache ses deux pieds à la boue qui gargouille, prête à l’avaler comme une bouche suceuse, et cherche un endroit sec.
— Gauthier ! crie-t-il.
Une silhouette se profile à cent pas derrière lui. Benacth attend, avec une expression figée de lassitude. Quand l’écuyer s’approche, il lui lance :
— Tu nous as encore fourvoyés. Nous ne sortirons pas de là et le soir va tomber. Je te le dis, Gauthier : je ne passerai pas une troisième nuit à croupir dans ce marais à grenouilles. Nous allons galoper.
— Mon cheval boite. Et je n’y suis pour rien ; je voulais prendre plus à l’ouest. Pardonnez-moi, messire, mais vous avez une tête de bois. Si vous m’aviez écouté…
— A l’ouest ! s’exclame Benacth. Tais-toi, Gauthier. Je t’en prie. Où vois-tu le soleil ? Dans les flaques ? Dis-moi, quand l’as-tu vu, la dernière fois ?
Gauthier ne répond pas, hausse les épaules et rejette sa cagoule détrempée. Ses yeux scrutent les lointains, en quête d’une issue, mais déjà l’ombre descend sur la forêt.
Et soudain, il s’écrie :
— Là-bas, messire ! Quelqu’un !
Benacth se retourne, aperçoit l’homme que désigne Gauthier, un chasseur de courlis ou d’ergondins sans doute, et sans attendre enfourche sa monture. Le cheval patauge puis se lance au galop dans les flaques. Au bruit de l’eau qui gicle, l’homme s’enfuit mais Benacth le rejoint sans peine, se jette sur lui et le terrasse.
— Vilain, dit-il, je ne te veux aucun mal. Dis-moi où est le bout de la forêt !
L’autre, plaqué dans les herbes, le visage hirsute et l’air terrorisé, ânonne. Benacth ne comprend rien à ses balbutiements et appelle Gauthier qui accourt.
— Demande-lui de nous sortir de là ! Ou de nous héberger, que sais-je ?
Un curieux dialogue s’engage entre le gueux que Benacth libère de sa poigne et l’écuyer essoufflé. Hochements de têtes. Sourires enfin qui semblent conclure un accord.
— Que dit-il ?
— Il dit qu’il peut nous offrir le boire et le manger ainsi que la couche pour cette nuit. Il suggère qu’un denier pour tout cela ne serait pas de trop.
— Le drôle ! Les bonnes manières se perdent. Mais soit.