Le ventre de Babel
« Une visite inopinée et déconcertante de la mythique tour de Babel, à la recherche d’une femme disparue. Au temps d’Hérodote peut-être… »
L’exploration de la mythique Tour de Babel, côté intérieur, par un jeune grec, Gaspard, et sa compagne Valesta. On n’entre pas si aisément dans l’univers des sortilèges. Sait-il, ce naïf Gaspard, que le nom même de Valesta – qu’il perd de vue à ce moment précis – n’est que l’acrostiche des femmes innombrables qui défileront sous ses yeux ? Valesta, Alicène, Loïgane, Ecilie, Sophia, Thorique, Anda deviennent alors comme les masques éphémères d’une seule personne invisible et qui hante Babel, depuis son paradis hypothétique jusqu’en ses enfers toujours éludés.
Genre Littéraire :
Fiction historique
Éditeur :
Éditions Publibook, Paris
https://www.publibook.com
Parution : 2004
ISBN : 27 4832643-1
Format : 14 x 20 cm
Nombre de pages : 166
Version papier : 20 €
Extrait
Il arrive fréquemment que l’on confonde Babel et Babylone, de même que l’on confond la grande Tour et la ziggourat Etemenanki aux sept terrasses de briques émaillées. Celle-ci est prise pour celle-là ; c’est une erreur que commettent la plupart des voyageurs, lesquels s’arrêtent au spectacle de la cité opulente et tapageuse, de la ziggourat aux mille couleurs, de ses temples, sans chercher au-delà et plus loin la grande Tour plus secrète qui domine.
Il est vrai qu’on ne la découvre pas aisément. Les conditions climatiques sont mystérieuses sur les plateaux de Babylone où il se forme d’immenses nappes de brume, probablement dues à l’évaporation très forte des eaux de la vallée. En effet, si l’on s’écarte de la ville par le nord, tournant le dos à l’Euphrate – à son affluent plutôt – en prenant la direction du Tigre et du Dijale, on se trouve après une ascension de quelques heures en face d’un brouillard lumineux qui décourage toute exploration du véritable pays de Chinéar ; là, précisément, se tient Babel, la « porte de Dieu ».
Renseigné par les anciennes prophéties, j’ai voulu vérifier sur les lieux l’existence de Babel et de sa tour qu’on disait énorme et prodigieuse ; il me semblait impérieux de voir cette merveille et de la visiter une fois au cours de mon passage sur cette terre. La curiosité m’a toujours poussé sur les routes ; les mystères l’ont toujours excitée.
J’ai fait ce voyage en compagnie de Valesta, mon amie, que j’avais affublée pour l’occasion d’un long manteau de pèlerin, tant je craignais les périls du chemin, les brigands, les nomades ou les marchands d’esclaves. Mes craintes étaient fondées. Plusieurs fois, au cours de nos haltes dans les villes, les bourgades, les campements de quelque tribu, on reconnut qu’elle était femme et je me dépêtrais malaisément de ces situations. On voulait m’acheter Valesta et l’épouser sur l’heure ; je jurais qu’elle était mienne ; on me jugeait trop jeune pour qu’elle fût mon épouse, on la croyait ma sœur. Toutes ces difficultés me firent pousser plus loin le subterfuge ; je lui nouais la chevelure qu’elle avait fort longue et la glissais dans sa tunique, traçais au charbon des moustaches et un semblant de barbe sur son visage féminin, lui rabattais le capuchon. Interdiction lui était faite de parler en présence des hommes ; devant ceux-ci, je déclarais mon compagnon muet.
C’est ainsi que nous pûmes atteindre Babylone sans encombre – que nous visitâmes – et traverser la ville pour gagner ensuite les hauteurs, suivant les directives de mon vieux maître et celles des écritures sacrées. Le brouillard qui nous attendait sur les plateaux ne nous fit pas reculer, au contraire. Maintenant avec assurance notre direction vers le nord, nous le traversâmes durant une bonne heure, et la suite nous donna raison : au-delà des dernières brumes, se découvrit un paysage féerique et sans commune mesure avec ce que l’on voit ordinairement. Terrasses, bassins, canaux, escaliers majestueux et sculptés, colonnes et portiques de marbre, arbres et plantes de toute espèce cultivés avec un soin infini, terre-pleins fleuris s’étalaient devant nous jusqu’à perte de vue, ravissant nos regards. Rien n’était négligé ; les pavements offraient à nos pas des mosaïques rares ; les ouvrages maçonnés étaient rehaussés de jaspe, d’onyx et de sardoine, et des jeux d’eau qui circulaient partout irriguaient cet ensemble à la manière des sangs qui irriguent le corps. Quelquefois des terrasses en surplomb donnaient à cet espace un air de folie paradisiaque.
Je ne doutais plus que j’étais en présence des fameux jardins suspendus, bien plus beaux et plus riches que les pâles imitations de Babylone. L’endroit pourtant était étrangement désert et – ce qui me déçut un peu – aucune tour ne surgissait à l’horizon.
Jugeant qu’il nous faudrait poursuivre plus avant pour découvrir celle-ci, mais ravis par ce lieu qui nous offrait un repos attendu, nous décidâmes d’y séjourner quelques heures et d’en goûter les charmes. Valesta, qui ruisselait de sueur sous son large manteau, se débarrassa sans attendre de l’habit encombrant et défit sa tunique pour se plonger nue dans le bassin le plus proche. Inquiet tout de même, je surveillai les environs avant de l’y rejoindre ; bientôt, nous barbotions comme deux jeunes cabris dans une eau fraîche et aussi claire que le cristal. Le soleil que les brumes de l’air adoucissaient en cet endroit, nous sécha bien vite ; nous choisîmes une terrasse d’herbe molle et parsemée de fleurs minuscules pareilles à des étoiles. Puis le désir monta en nous, et je couvris ma compagne…