Les Gorges de l’Enfer

Les Gorges de l'enfer

« Le récit de la possession des Ursulines par les diables de Loudun, sous la gouvernance de Richelieu, qui opposa et réunit Jeanne des Anges à Urbain Grandier.  »

La relation historique, et intime, de l’affaire de la possession de Loudun, conduite et orchestrée d’une main de fer par le cardinal de Richelieu et son homme de main, l’impitoyable Laubardemont.

Intime parallèle à l’officielle biographie de Jeanne de Belcier, connue sous le nom de Jeanne des Anges, Les Gorges de l’Enfer n’est pas à proprement parler un roman historique ; plutôt l’histoire plausible de la passion trouble que la prieure des Ursulines de Loudun entretint à l’égard du prêtre libertin et séducteur Urbain Grandier. De vérités, ici, il n’y en a point ; les hommes la fabriquent, les diables font la loi, et Dieu, le grand absent, s’esquive sur la pointe des pieds.

Genre Littéraire :
Roman historique
Éditeur :
Éditions Publibook, Paris
https://www.publibook.com

Parution : 2009
ISBN : 978-2-7483-4751-7
Format : 14,5 x 21 cm
Nombre de pages : 242

Version papier : 25 €
Version PDF: 3 €

Extrait

Nous échangeâmes quelques paroles courtoises mais brèves ; sans perdre de temps, il prit mes sœurs en confession. Quant à moi, j’imaginais mille moyens pour me soustraire à cette épreuve que je jugeais pénible d’ordinaire et qui cette fois me paraissait inconvenante et grotesque. Pouvais-je confier mes tâtonnements, mes écarts de pensée à cet homme qui s’adonnait à la débauche et aux plaisirs vulgaires ? Je n’avais que vingt-sept ans ; je ne pesais d’aucun poids face à lui. Quand vint mon tour, n’ayant trouvé aucun prétexte qui pût me soustraire à cette parodie, je me plantai devant lui, aussi droite que possible, et lui dis : — Mon père, je n’ai rien à confesser. Il n’en fut pas ému. Il répondit d’un ton affable : — Ma fille, je prendrai cet aveu comme une confession. Vous êtes, je le vois, de celles qui ont trop à dire pour oser commencer.

Fragments d’une histoire connue

Fragments d'une histoire connue

« La mission tragique de Jeanne d’Arc, racontée dans ces parenthèses dont l’histoire ne parle jamais. De ses moments intimes et solitaires, vécus au jour le jour, à l’heure près… »
Dans le royaume de France de 1428 à 1431, trois années de guerre, de tractations, de procès, vécus au jour le jour par celle qui déchaîne passions et intérêts chez les monarques, les capitaines ou les clercs. Loin de la redite sempiternelle d’épisodes trop connus, le roman entièrement constitué de fragments explore les interstices de l’histoire dans ses moments les plus sensibles mais aussi les plus anodins.

Genre Littéraire :
Roman historique
Éditeur :
Éditions Publibook, Paris
https://www.publibook.com

Parution : 2007
ISBN : 978-2-7483-3823-2
Format : 14 x 20 cm
Nombre de pages : 227

Version papier : 25 €
Version PDF : 12,5 €

Quatrième de couverture

Elle ne sera jamais nommée. Orléans, Reims, son procès à Rouen, ne sont que des échos lointains. L’histoire la raconte ici entre ses parenthèses. Seulement.

            Ce silence nouveau qu’elle impose devient intolérable pour certains ; pour d’autres, il se fait long. Pour l’occuper, on se met à tousser. Le temps de la prière s’achève ; cette fois, avec une difficulté notoire, elle se redresse et reprend son aplomb. Un coup d’œil s’égare à l’adresse du maréchal de Rais ; toujours en claudiquant, elle s’approche du groupe. Avant qu’elle ne salue les émissaires du roi, le sire d’Albret lui lance, pour signifier que sa prière était vaine et pour détendre l’atmosphère :

            – L’église est en démolition, madame. La présence du Seigneur n’y est plus.

            Elle s’arrête au son de cette phrase et prend un air étonné. On la croirait rêvant à d’autres choses ; enfin elle incline le visage et esquisse un sourire qui semble vouloir dire :

            – Mais la présence du Seigneur, messire, je la porte avec moi. Et elle me suit partout.

            Nul n’entend cette phrase. Elle se situe dans un sourire. Mais tous voient le sourire pourtant furtif. Chacun y met sa phrase à soi.

Et à chacun d’y mettre son sourire à soi.

Agnosia, l’ignorance

Agnosia, l'ignorance

« Dans l’Egypte gnostique du IIème siècle ap. J.C., l’intrusion d’une femme, ascète du désert, dans le calme d’un ermitage réputé mais besogneux. »

Un conte philosophique, que l’on pourrait cadrer dans l’Egypte copte, scandé par les apophtegmes des Pères du désert, entre réminiscences pharaoniques et légendes bibliques.
Agnès, « sauterelle du désert », vient troubler par sa présence féminine la communauté des hommes de Siloès. Son attirance pour Josephe l’amène à subir l’assaut meurtrier des barbares de Phaïs, leur jugement, son exil dans le faux paradis de Thaïnit, où elle éprouve à l’aune de son désir d’absolu, l’amour humain trop fugitif.

Genre Littéraire :
Fiction historique, initiatique
Éditeur :
Éditions Publibook, Paris
https://www.publibook.com

Parution : 2006
ISBN : 27 4833027-7
Format : 14 x 20 cm
Nombre de pages : 214

Version papier : 25 €
Version PDF : 12,5 €

Extrait

Dans la paisible communauté de Siloès, connue et vénérée à cent lieues à la ronde, il s’éleva un jour un grand tumulte. Les frères ermites du désert — comme chaque matin après l’heure de la prière — descendaient le versant abrupt de la montagne pour se rendre dans la région des marais, laquelle, située en retrait du fleuve et généreusement irriguée, leur était réservée depuis plusieurs générations. Ainsi qu’à l’ordinaire, les frères de la communauté chantaient en chemin, frappant l’un contre l’autre des morceaux de bois au rythme de la marche et des psaumes entonnés, d’abord pour glorifier le Seigneur, ensuite pour annoncer en grand tapage leur présence et inviter hommes et bêtes imprudemment aventurés en ces lieux à déguerpir sans tarder.

Mais ce jour-là, une surprise les attendait. Ce fut le frère Nitras — en tête de la troupe — qui le premier s’arrêta net, leva en l’air ses bâtons et se mit à glapir les dernières syllabes du psaume comme s’il venait d’être mordu par un serpent. L’inquiétude flotta un instant sur le groupe et tous les yeux scrutèrent intensément les alentours dans le dessein de découvrir au plus vite la cause du mal étrange qui attaquait le frère Nitras.

La cause était assise là-bas, à moins de quarante pas, au milieu du marais, à l’endroit même où l’eau était claire et fluide comme une source vive ; la cause n’était ni plus ni moins qu’une créature du sexe honteux et, qui plus est, quasiment nue. Et cette cause, effrontément, insouciamment, outrageusement, se livrait à toutes sortes d’ablutions, buvait et souillait l’eau de la terre, empêchant Dieu comme le soleil de s’y mirer et, conséquemment, les frères de s’approcher.

La surprise générale céda bientôt le pas à l’indignation. Nombre de frères très vite détournèrent les yeux quand ils ne tournaient pas franchement le dos ; Antinoïs se mit à maugréer ; Théophraste pria ; Matios demeurait bouche bée comme un poisson sorti de 1’eau. Alors, faisant siffler sa baguette et battant le pan de sa tunique, Abba Philémon crut sage d’intervenir avec vigueur ; il dépassa le groupe de dix pas, puis, voyant qu’il pataugeait déjà dans l’eau souillée, se planta sur une motte de terre émergée et se mit à crier :

— Démon de femme ! Qui te donne le droit de salir ce qui est pur et de venir troubler le cœur des hommes qui cherchent Dieu ?

Elle sembla ne rien entendre ; sans sourciller, elle continua de boire — avec une impudence qui frisait la provocation —1’eau du marais. Peut-être était-elle sourde, tout simplement.

— Catin ! vociféra encore Abba Philémon. Si tu ne peux répondre, au moins va-t-en ! Retourne donc au diable qui t’envoie ! Nous saurons te chasser ! Fille de rien ! Prostituée ! Tu nous provoques impunément, fauteuse de mensonge et de péché !

Pas plus qu’à la première semonce, elle ne répondit. Plongeant ses longues et fines mains dans l’eau, elle but encore avec un calme identique, une même dévotion — aurait-on dit. Dévotion feinte, pensa Philémon, toujours faisant siffler sa baguette en roseau. Il se tourna furieux vers le groupe muet.

— Matios ! appela-t-il.

Matios s’approcha prudemment, les yeux fixés sur le sol boueux comme s’il craignait de s’enliser.

— Matios, gronda Abba Philémon quand le frère l’eut rejoint, toi qui es sans faiblesse, rends-toi auprès de cette créature de Satan et fais ce qu’il convient de faire pour qu’elle s’en aille.

— Abba, répondit Matios en gémissant et tournant sur lui-même sans jeter un regard alentour, tu ne peux me commander telle chose. Dix ans ! Il me faudra dix ans ensuite pour que de mon esprit s’en aille l’image de cette femme. Demande à Josephe. Lui, il sait…

Abba Philémon le repoussa, scrutant d’un œil mauvais l’infernale créature qui prenait ses aises et dévoilait ses charmes pour narguer de sa présence toute la communauté ; alors il appela à lui Josephe, lequel à son tour s’approcha. Vêtu d’un simple pagne, il était le plus jeune des anciens, mais certainement aussi l’un des plus courageux.

— Josephe, lui dit Philémon, tu es agile et vigoureux. Prends cette baguette et chasse cet objet de honte comme tu le peux. Je compte sur toi. Si tu échoues, la honte tombera sur la communauté. On se moquera de nous.

Voyant l’irritation du vieillard, Josephe s’empara de la baguette de roseau et s’avança dans l’eau. Lorsqu’il fut tout proche de la créature, maintenant immobile et le visage penché sur l’eau, il s’arrêta pour la contempler. Ses cheveux longs et sales couvraient ses épaules ; sa peau semblait rugueuse et cuite par le soleil ; elle était femme, assurément, mais si émaciée qu’il eût dit un insecte. Il attendit. Alors elle releva son visage vers lui.

— Tu viens pour me frapper, Josephe ? demanda-t-elle.

Aucune expression ne marquait son visage qui surprit Josephe par sa quiétude et la régularité de ses traits. De son regard seules émanaient une brillance et une intensité.

— Que cherches-tu ? demanda-t-il sans se montrer sévère.

— Je cherche Dieu, répondit-elle sans se troubler.

— Dans l’eau ? s’étonna Josephe.

— L’eau est le plus limpide des miroirs de Dieu, rétorqua-t-elle. Pourquoi ne le chercherais-je pas dans l’eau ?

— Tu sais que cet endroit est réservé aux frères de Siloès, reprit Josephe avec douceur. Pourquoi viens-tu nous provoquer ?

Lentement elle sortit de l’eau ses longues mains qu’elle prit soin d’égoutter puis, à la seule force de ses cuisses d’où l’on voyait saillir les muscles, elle se dressa. Dans sa lenteur, Josephe discerna de la noblesse, du détachement. Alors il prit le temps de 1’observer et put voir qu’un rien l’habillait : seul un pagne de lin dérobait à la vue son bas-ventre. Avec des gestes délicats, elle ramena quelques mèches de sa chevelure pour couvrir sa poitrine aux seins inexistants. Enfin elle répondit :

— Le sens que l’on accorde aux choses dépend du regard que 1’on porte sur elles. Pourquoi dis-tu que je viens dans le dessein de vous provoquer, lorsque tout simplement je me désaltère et goûte à la fraîcheur de l’eau ?

— Tu parles bien, rétorqua Josephe, fronçant les sourcils et remuant sa baguette. Mais je ne sais toujours pas qui tu es ni quel est ton dessein.

— Je te l’ai dit, mon frère, reprit-elle. Toi qui cherches Dieu, comment le trouveras-tu si tu ne sais immédiatement discerner le vrai  du faux ?

— Le faux se cache toujours derrière le vrai, dit Josephe.

— Alors frappe-moi ! déclara-t-elle soudain sur le ton du défi ; car même si j’ai dit vrai, le faux se cache derrière moi.

Josephe eut un bref sourire. Il hésita. Enfin il leva sa baguette et lui cingla les cuisses. Son corps tout entier fut parcouru d’un tressaillement. Son visage pourtant garda toute sa quiétude. Il sembla même que la douleur, au lieu de cuire, produisait en son être une ivresse proche de la béatitude.

— Tu vois, dit-elle sans que l’on pût soupçonner dans sa voix un effort, malgré le faux, le vrai résiste. Sans doute ai-je réussi à les concilier.

— Soit, admit Josephe. Dis-moi alors ce que tu fais ici.

Elle détourna les yeux vers la communauté qui attendait, pareille à un cortège d’effigies funéraires, puis son regard s’éloigna vers le sommet bleuté des montagnes.

— Je viens des hautes Terres, dit-elle enfin. J’y ai passé trois années dans la plus absolue des solitudes. Vois, le désert m’a brûlée. J’y cherchais Dieu. Je crois l’avoir trouvé. Ou j’ai trouvé son ombre. Hélas, depuis l’arrivée des barbares, les caravanes des marchands longent le fleuve par l’autre rive ; à tout moment, je crains d’être surprise. La mort ne m’effraie pas, mon frère ; mais je 1’avoue, l’idée de tomber en servitude me fait fuir. Sans doute est-ce là la part de Dieu qui m’échappe toujours.

— Qui donc voudrait de toi ? plaisanta Josephe. Tu es fragile comme un criquet. Tu n’as ni seins ni ventre, et moins de fesses encore.

Elle se mit à sourire.

— Néanmoins ce qui reste suffit à mettre la déroute dans ta communauté. Regarde-les. On les croirait surpris dans les charmes de Satan.

Josephe se retourna, contempla un instant la troupe des frères en alerte, puis se ressaisissant, releva sa baguette et de nouveau cingla l’intruse en plein visage. Elle accusa le coup mais, comme précédemment, se détendit et laissa la douleur l’envahir.

— Tu n’as toujours pas répondu à ma question, insista Josephe. Que fais-tu donc ici ? Dans ce marais qui nous est réservé ?

— Ô, mon frère, répondit-elle d’une voix mi-plaintive mi-extasiée, frappe-moi ; frappe-moi encore. Tes coups sont des caresses. Ta brûlure est comme un feu qui me dévore.

Josephe s’impatienta.

— Me répondras-tu ? gronda-t-il.

Elle le contempla avec fixité.

— A toi, je dirai tout, annonça-t-elle. Je vis depuis moins d’une lune au-delà des montagnes. Dans la vallée des Morts, c’est là que j’ai trouvé refuge. Souvent je gravis le sommet et je vous vois de loin. Vous observer m’amuse. La nuit, en secret, je descends au marais pour me désaltérer, cueillir les herbes qui me nourrissent. Mais cette nuit, vois-tu, j’ai refusé cette existence de bête apeurée, et j’ai compris que Dieu m’ouvrait la voie du jour et du courage de paraître. Je suis nouvelle et renée de moi-même. Je ne crains plus les hommes.

— Mais tu crains la servitude. Comment te nommes-tu ?

— Toi d’abord. Dis-moi ce que tu cherches ?

— Je m’appelle Josephe. Je cherche la connaissance.

— Je suis Agnosia, l’ignorance.

Josephe, de surprise, se remit à sourire. Relevant sa baguette, il la menaça en criant :

— Alors  va-t-en d’ici ! Ne reviens plus !

Elle s’écarta d’un bond.

— Je reviendrai demain, Josephe. Pour toi, rien que pour toi. J’aime tes coups qui me cinglent le cœur.

Enfin elle prit la fuite et disparut derrière un bosquet de roseaux…

Portrait de famille

Portrait de famille

« Vers les années 1890, autour d’une famille de petite noblesse provinciale, une rôdeuse et un curé sèment le trouble dans les affaires de succession.  »

En 1890, dans un modeste château picard, une affaire de famille qui couve sur fond de petite noblesse provinciale et d’arrangements entre notables locaux. Le portrait d’une époque en manque de repères, divisée entre laïcs et clercs, et d’une société aux compromis douteux, que bouleversent soudain le tempérament d’un curé hardi et les errances d’une vagabonde qui retient des secrets.

Un texte qui s’inscrit dans un calendrier méticuleux, heure après heure, jour après jour, semaine après semaine, pour raconter des faits, leurs ajustements hasardeux, la place qui revient à l’humain pour les corriger et rendre à la vie un cours plus harmonieux.

Genre Littéraire :
Roman social
Éditeur :
Éditions Publibook, Paris
https://www.publibook.com

Parution : 2004
ISBN : 9782748306231
Format : 14 x 20 cm
Nombre de pages : 177

Version papier : 22 €
 

Quatrième de couverture

« Dans le vestibule du château de Bergues, plusieurs choses retenaient l’attention en dehors du mobilier ordinaire : le titre de noblesse de monsieur le comte, vieux document de famille daté et signé de la main d’un officier royal et mis sous verre, une statuette de plâtre patiné, copie en réduction de l’Apollon poursuivant Daphné, un grand miroir enfin qui reflétait sur le mur opposé une photographie récente de larges dimensions, richement encadrée et sous verre elle aussi.

Sur cette dernière, le visiteur pouvait reconnaître, en valeurs bistre, le perron du château garni d’une vingtaine de personnes s’étageant sur trois rangs, suivant les marches de l’escalier…

Toutes ces personnes se contemplaient fixement dans le grand miroir, sans jamais se lasser. »

Extrait

Mardi matin.

            L’air est vif sur les champs nus de Bergues. À cette heure, la terre labourée offre sa solitude au ciel, sa plainte vide et son engourdissement ; la brume hésite, frileuse encore, aussi légère qu’un voile de vierge ; c’est elle qui estompe la crudité du monde et qui empêche toute prière de s’élever, celle de la terre, de cette chair vivante et blessée.

            Et puis le soleil au-delà. On ne sait rien de lui. On le devine à cette boule étincelante que filtre par instants le ciel blanc. Nais nul ne peut jurer qu’il existe.

            Alors, au ras de cette terre déserte qui affleure, deux cavaliers surgissent. Ils sont posés sur l’horizon, petits, et leur galop est minuscule ; mais à eux seuls, ils donnent au monde un sens et à la vie une histoire. Ils longent l’horizon et franchissent la terre immobile, silencieuse, la terre qui là-bas, sans doute, résonne du choc des sabots.

            Une autre forme vient d’apparaître en contrebas, la silhouette d’une marcheuse que les brumes à présent ne peuvent plus voiler. Elle bouge, comme démasquée soudain, se meut plus vite, court, escaladant les mottes pour gagner le sommet de la butte ou pour atteindre le bosquet. Il y a dans son effort tant d’insignifiance qu’on croirait un insecte, et tant d’ardeur qu’en prêtant l’oreille, on l’entendrait souffler. Ses mains lèvent sa robe pour soulager sa course, la libérer du vêtement dans lequel elle s’empêtre ; puis elle s’arrête un court instant, épiant la direction des cavaliers.

C’est elle qu’ils ont aperçue. Après un bref échange, ils s’élancent à nouveau, s’approchent puis se séparent. L’un d’eux s’en va sur le chemin pour lui couper la route du bosquet. Elle le devine, semble-t-il, fait un écart, cherchant dans le désert des mottes et des sillons une autre issue à sa fuite, mais le désert sans issue se referme sur elle ; déjà le second cavalier qui descend vers le val lui interdit toute retraite. Alors elle court à toutes jambes, avec cette énergie irraisonnée de la bête aux abois, et tente vainement de passer au milieu. Le mouvement des chevaux se resserre. Elle trébuche, hors d’haleine, et s’arrête à deux pas du bosquet.

            Les fils du comte ressaisissent leurs montures et s’avancent pour mieux la détailler.

            — Qu’est-ce que tu fais là ? demande Lucien.

            D’un regard aux yeux pâles, elle le toise, puis très vite se détourne.

            — T’es sur les terres du père Fréville. Elles appartiennent à ma famille. Ici, on n’aime pas les rôdeurs ; alors, réponds : qu’est-ce que tu fais là ?

            Tête baissée, elle se tait. Sa bouche, crispée par la fatigue, laisse échapper un souffle rauque. Dans un va-et-vient vigoureux, sa poitrine se soulève et s’affaisse ; sa main presse sa taille pour soulager une douleur au côté. Rien d’autre qu’une respiration, précipitée.

            — On t’a vue hier sur la route de Quercamps, dit Charles d’une voix qui se force. Alors dis-nous ?

            Nulle réponse. Le souffle décroît peu à peu, le visage demeure braqué vers le sol.

            — Peut-être bien qu’elle est muette.

            — Ou qu’elle est sourde.

            Au mouvement des chevaux, son regard se lève mais sans aller aux cavaliers ; il épie sans vouloir affronter.

            — Allez file ! lance Lucien. Va te promener sur la route. Les routes, c’est pas fait pour les chiens ! Et si on te retrouve à rôder…

            Les bêtes s’ébrouent et les deux frères s’éloignent avant de prendre le galop. Leurs silhouettes bientôt pâlissent sous la brume, deviennent floues sur l’horizon, enfin s’évanouissent.

            Et revient la puissance des songes…

Le ventre de Babel

Le ventre de Babel

« Une visite inopinée et déconcertante de la mythique tour de Babel, à la recherche d’une femme disparue. Au temps d’Hérodote peut-être…  »

L’exploration de la mythique Tour de Babel, côté intérieur, par un jeune grec, Gaspard, et sa compagne Valesta. On n’entre pas si aisément dans l’univers des sortilèges. Sait-il, ce naïf Gaspard, que le nom même de Valesta – qu’il perd de vue à ce moment précis – n’est que l’acrostiche des femmes innombrables qui défileront sous ses yeux ? Valesta, Alicène, Loïgane, Ecilie, Sophia, Thorique, Anda deviennent alors comme les masques éphémères d’une seule personne invisible et qui hante Babel, depuis son paradis hypothétique jusqu’en ses enfers toujours éludés.

Genre Littéraire :
Fiction historique
Éditeur :
Éditions Publibook, Paris
https://www.publibook.com

Parution : 2004
ISBN : 27 4832643-1
Format : 14 x 20 cm
Nombre de pages : 166

Version papier : 20 €
 

Extrait

            Il arrive fréquemment que l’on confonde Babel et Babylone, de même que l’on confond la grande Tour et la ziggourat Etemenanki aux sept terrasses de briques émaillées. Celle-ci est prise pour celle-là ; c’est une erreur que commettent la plupart des voyageurs, lesquels s’arrêtent au spectacle de la cité opulente et tapageuse, de la ziggourat aux mille couleurs, de ses temples, sans chercher au-delà et plus loin la grande Tour plus secrète qui domine.

            Il est vrai qu’on ne la découvre pas aisément. Les conditions climatiques sont mystérieuses sur les plateaux de Babylone où il se forme d’immenses nappes de brume, probablement dues à l’évaporation très forte des eaux de la vallée. En effet, si l’on s’écarte de la ville par le nord, tournant le dos à l’Euphrate – à son affluent plutôt – en prenant la direction du Tigre et du Dijale, on se trouve après une ascension de quelques heures en face d’un brouillard lumineux qui décourage toute exploration du véritable pays de Chinéar ; là, précisément, se tient Babel, la « porte de Dieu ».

            Renseigné par les anciennes prophéties, j’ai voulu vérifier sur les lieux l’existence de Babel et de sa tour qu’on disait énorme et prodigieuse ; il me semblait impérieux de voir cette merveille et de la visiter une fois au cours de mon passage sur cette terre. La curiosité m’a toujours poussé sur les routes ; les mystères l’ont toujours excitée.

            J’ai fait ce voyage en compagnie de Valesta, mon amie, que j’avais affublée pour l’occasion d’un long manteau de pèlerin, tant je craignais les périls du chemin, les brigands, les nomades ou les marchands d’esclaves. Mes craintes étaient fondées. Plusieurs fois, au cours de nos haltes dans les villes, les bourgades, les campements de quelque tribu, on reconnut qu’elle était femme et je me dépêtrais malaisément de ces situations. On voulait m’acheter Valesta et l’épouser sur l’heure ; je jurais qu’elle était mienne ; on me jugeait trop jeune pour qu’elle fût mon épouse, on la croyait ma sœur. Toutes ces difficultés me firent pousser plus loin le subterfuge ; je lui nouais la chevelure qu’elle avait fort longue et la glissais dans sa tunique, traçais au charbon des moustaches et un semblant de barbe sur son visage féminin, lui rabattais le capuchon. Interdiction lui était faite de parler en présence des hommes ; devant ceux-ci, je déclarais mon compagnon muet.

            C’est ainsi que nous pûmes atteindre Babylone sans encombre – que nous visitâmes – et traverser la ville pour gagner ensuite les hauteurs, suivant les directives de mon vieux maître et celles des écritures sacrées. Le brouillard qui nous attendait sur les plateaux ne nous fit pas reculer, au contraire. Maintenant avec assurance notre direction vers le nord, nous le traversâmes durant une bonne heure, et la suite nous donna raison : au-delà des dernières brumes, se découvrit un paysage féerique et sans commune mesure avec ce que l’on voit ordinairement. Terrasses, bassins, canaux, escaliers majestueux et sculptés, colonnes et portiques de marbre, arbres et plantes de toute espèce cultivés avec un soin infini, terre-pleins fleuris s’étalaient devant nous jusqu’à perte de vue, ravissant nos regards. Rien n’était négligé ; les pavements offraient à nos pas des mosaïques rares ; les ouvrages maçonnés étaient rehaussés de jaspe, d’onyx et de sardoine, et des jeux d’eau qui circulaient partout irriguaient cet ensemble à la manière des sangs qui irriguent le corps. Quelquefois des terrasses en surplomb donnaient à cet espace un air de folie paradisiaque.

Je ne doutais plus que j’étais en présence des fameux jardins suspendus, bien plus beaux et plus riches que les pâles imitations de Babylone. L’endroit pourtant était étrangement désert et – ce qui me déçut un peu – aucune tour ne surgissait à l’horizon.

            Jugeant qu’il nous faudrait poursuivre plus avant pour découvrir celle-ci, mais ravis par ce lieu qui nous offrait un repos attendu, nous décidâmes d’y séjourner quelques heures et d’en goûter les charmes. Valesta, qui ruisselait de sueur sous son large manteau, se débarrassa sans attendre de l’habit encombrant et défit sa tunique pour se plonger nue dans le bassin le plus proche. Inquiet tout de même, je surveillai les environs avant de l’y rejoindre ; bientôt, nous barbotions comme deux jeunes cabris dans une eau fraîche et aussi claire que le cristal. Le soleil que les brumes de l’air adoucissaient en cet endroit, nous sécha bien vite ; nous choisîmes une terrasse d’herbe molle et parsemée de fleurs minuscules pareilles à des étoiles. Puis le désir monta en nous, et je couvris ma compagne…